Depuis 2001, les performances en compréhension de l'écrit des élèves sont en chute. À l'heure des écrans, difficile de donner le goût de lire aux enfants… Suffirait-il d'envoyer des bénévoles leur faire la lecture en classe, comme le font bon nombre d'associations ? Nous avons mené l'enquête.

Télévisions, ordinateurs, tablettes, smartphones… les écrans règnent en maîtres partout, et les enfants sont les premières victimes de leur hégémonie. Résultat des courses : le livre est parfois perçu par les nouvelles générations comme un médium bien peu fascinant. D'ailleurs, le dernier classement du PIRLS (Programme international de recherche en lecture scolaire), qui mesure les performances en compréhension de l’écrit des élèves de CM1, le prouve : il souligne que la France, avec ses 511 points en 2016, se situe en-deçà de la moyenne européenne (540 points), et a perdu 14 points en quinze ans.
Pour tenter d'enrayer ce phénomène, depuis la fin des années 1990, les initiatives fleurissent. Concours de lecture, associations envoyant des bénévoles dans les écoles... Rencontre, dans une classe de maternelle avec une bénévole de l'association "Lire et faire lire", ainsi qu'avec une professeure agrégée de lettres afin de recueillir son sentiment sur sa collaboration avec les conteurs bénévoles d'une association locale.
Un gamin qui jubile avec un livre est un gamin qui est vacciné contre l’échec scolaire. Alexandre Jardin, écrivain et cofondateur de l'association "Lire et faire lire"
"Quand les parents lisent des histoires, on voit tout de suite que les enfants ont une posture de lecteurs."
Bénévole depuis 2003 pour l'association "Lire et faire lire" qui existe depuis 1999, Lucette, septuagénaire investie, se rend deux fois par semaine dans une école de Saint-Maur, près de Paris, afin de faire la lecture à des enfants de petite section de maternelle. Le principe ? S'isoler une vingtaine de minutes dans une salle de classe voisine, avec un groupe de quatre ou cinq élèves privilégiés - car tous sont volontaires ! -, pour leur lire une histoire. Aujourd'hui, ce sera celle d'une petite souris qui se blesse en faisant du jardinage. En rang d'oignon sur un petit banc, les enfants l'écoutent d'une oreille tout de même un peu distraite ! Le moindre détail du récit est prétexte pour eux à interrompre la bénévole pour se lancer dans celui de leur propre quotidien.

Finalement, le silence ne se fait véritablement que quand Lucette tourne le livre vers eux pour leur présenter les illustrations… Puissance du visuel, là encore. Malgré tout, la bénévole, qui est longtemps intervenue en ZEP, souligne la différence de concentration entre ces enfants, et ceux de milieux moins favorisés :
Je peux faire la différence avec les ZEP. À Saint-Maur, les parents lisent des histoires. On voit tout de suite que les enfants ont une posture de lecteurs. Ils s’assoient, ils sont dans la concentration, beaucoup plus que dans d’autres quartiers. En ZEP, ils sont dissipés, il faut que ce soit des histoires très très courtes, il y a tout un travail à faire… Ici, ce sont des enfants qui sont demandeurs.
Et si les élèves de petite section sont encore trop petits pour apprendre à lire, l'activité du coin bibliothèque témoigne en effet de leur appétence pour les livres, qui ne cesse de croître en cours d'année selon leur institutrice Marielle Ferrandini : "Il y a beaucoup d’enfants qui en début d’année ne vont pas d'eux-mêmes regarder des histoires, mais après ces échanges, et parce qu’on raconte aussi beaucoup d’histoires dans la classe, ils se dirigent beaucoup plus facilement vers les livres."
"Entendre des histoires qui leur sont racontées reconnecte les jeunes avec cette part première et presque organique de la lecture."
Quels récits privilégier lorsqu'on veut faire oublier les écrans aux enfants ? Les atemporels bien sûr : ceux remplis de monstres, de sorcières, de fantômes et de dinosaures, autant de créatures dont le succès ne se dément pas depuis des générations. Et puis, comme le note Lucette, certains livres pour enfants évoquent l'univers télévisuel tant chéri… à privilégier avec les bambins peu habitués à ce qu'on leur fasse la lecture à la maison :
Il y a certains récits qui ont des points communs avec les dessins animés, avec des personnages extravagants que les enfants ont parfois en jouets. Ils font le rapprochement et ça leur convient très bien !
Une analyse corroborée par Inès Salas, professeur agrégée de lettres modernes en banlieue parisienne, qui a travaillé au collège avec des membres de l'association "Les conteurs de Sèvres". "Les histoires racontées [...] permettent aux élèves de rencontrer les grands mythes grecs ou égyptiens ainsi que le Moyen Âge avec ses fabliaux, les Lais de Marie de France…", se targuent sur leur site internet les conteurs, des retraités bénévoles. D'après l'enseignante, ce choix de textes, en lien avec le programme, contribue à la réussite de ces séances de lecture qui se déroulent durant une heure ou deux, sur demande des professeurs, au sein du CDI de l'établissement :
Les grands mythes ont déjà été entendus d'une façon ou d'une autre, travaillés en classe, et des ponts peuvent être faits avec des films, des séries, les super-héros... Mais ce qui fait le succès de ces lectures, c'est bien davantage je crois la capacité du conteur à captiver son auditoire, à le tenir en haleine par la seule force de sa présence, de sa voix, de ses silences et bien sûr de son histoire.
Inès Salas souligne que souvent, la lecture (a fortiori scolaire) est associée à quelque chose de difficile et rébarbatif, voire de paralysant : "Les élèves pensent souvent qu'ils ne comprennent pas ce qu'ils lisent, ou mal. L'idée que lire, c'est prendre du plaisir au récit d'une histoire à l'écrit, et que raconter des histoires est une des premières fonctions de l'être humain, leur est très lointaine." Or, elle témoigne que lorsqu'ils entendent des histoires bien racontées, cela les reconnecte avec "cette part première et presque organique de la lecture". Même les plus récalcitrants sont tout ouïe : "Les élèves sont assis en cercle autour des conteurs et conteuses, qui se lèvent tour à tour pour dire avec talent un texte dont ils connaissent la trame à peu près par cœur. Les élèves écoutent comme un public écoute un conte. Même avec les classes un peu difficiles, il n'y avait pas un bruit."
En revanche, selon elle, de telles séances ne suffisent pas, à elles seules, à donner le goût de la lecture :
Cela réconcilie indéniablement avec l'idée de lecture, mais je ne dirais pas que cela suffit à leur donner le goût de lire. Lire à voix haute avec les élèves en classe pendant de longues plages de trente minutes, une heure... voilà ce qui leur permet de s'approprier vraiment le texte, et leur donne envie de continuer à le fréquenter chez eux pour suivre la prochaine lecture en classe. Ils ont alors envie de retrouver le texte comme on retrouverait un ami. Comme le disait Proust : "La lecture est une amitié".
D'autres initiatives existent autour de la lecture à voix haute dans la sphère scolaire. Le 19 novembre 2014, "Rue des écoles" enquêtait ainsi sur le plaisir de lire à l'école. Écrivains (comme Daniel Pennac), spécialistes des sciences du langage, jeunes... plusieurs voix s'y mêlaient pour débattre de ce sujet. Il était notamment question dans cette émission d'un grand concours de lecture à haute voix, fondé au mois de juin 2012 à l’initiative du Syndicat national de l’édition, et concernant 15 000 élèves de CM2 chaque année.
Il est quand même permis de garder espoir, comme nous le rappelait cet article que nous avions publié en 2016 : si les jeunes passent prioritairement du temps devant la télévision ou l'ordinateur, selon une étude IPSOS de 2016, encore 68% d'entre eux lisent au moins une fois par semaine, à l'école ou chez eux.
