Mais pourquoi, parmi les centaines de livres qui paraissent à la fin de l'été, lit-on tous les mêmes?

Ah! la rentrée littéraire, ces tonnes de livres entassés dans les bureaux depuis la fin du mois de juin, et qu’on ne peut pas tous, il faut bien le reconnaître, emporter chez soi, sauf peut-être Elisabeth Philippe, si on en croit son compte Twitter: elle postait il y a quelques jours une photo avant/après assez saisissant de son salon: impressionnants tas de livres sur le parquet sur la première, bibliothèque parfaitement ordonnée sur la deuxième.
Cette année, il ne sortait que 567 romans, je dis “que” car c’est moins que l’année dernière, apparemment même ce serait une tendance durable depuis quelques années. Mais bon tout de même 567 romans à lire, quand on est critique littéraire, ça fait un peu beaucoup. Même si on ne se concentre par exemple que sur les romans français ça fait encore 381, ou encore que sur les premiers romans, 94. Lire cent livres en deux mois: ça fait plus d’un livre par jour, ou par nuit, selon ses habitudes. Même sans manger et sans dormir ça me paraît compliqué.
C’est donc impossible, soyons honnêtes. On pourrait imaginer donc qu’arrivé le mois de septembre, chaque journaliste, chaque émission de radio, chaque papier, traite de livres tout à fait différents, chacun puisant selon des critères propres parmi cette immensité de pages. Et bien NON, vous avez remarqué, on parle en tout et pour tout d’une trentaine de titres, et encore je suis bonne fille, souvent c’est plutôt dix et tous les mêmes: Angot, de Kerangal, Bégaudeau, Nothomb, Ferrari.. Les mêmes titres, les mêmes noms, les mêmes portraits aussi s’étalent en couverture, à croire que tout le monde, en matière de littérature contemporaine, a les mêmes goûts. A croire que quelques livres représentent chaque année ce qu’il convient d’appeler la littérature contemporaine française: pas les gros best-sellers qui se fichent bien des calendriers et de la presse, pas non plus les livres obscurs d’auteurs inconnus: non, un entre-deux mystérieux qui fait la une partout.
Et je m’inclus totalement dans le tas, disons le tout de suite, cette chronique est aussi un lieu d’auto-flagellation, moi qui ai lu les mêmes livres que tout le monde, avec quelques petites excursions pour le frisson.
Alors comment l’expliquer: est-ce paresse, est-ce frilosité, est-ce qu’à l’origine de cette réduction drastique des choix il faut voir des stratégies d’éditeurs, est-ce l’effet des prix littéraires, dont la saison suit de près la rentrée littéraire, et qui formatent à l’avance un type de livres dignes d’être sélectionnés? Force est en tous cas de constater que les livres qui peuplent les pages des Inrocks, du Monde, du Figaro, et les ondes de La Dispute sont les mêmes qui figureront dans les sélections du Renaudot, du Goncourt and co, et les mêmes qui sont sur les étals des libraires aujourd’hui.
Ma question est certainement naïve: qui opère au départ ce choix? Dans ce cycle impitoyable de la vie littéraire, sommes-nous, chers amis critiques, la poule ou l’oeuf?