S'il cultivait la discrétion, il n'en était pas moins reconnu comme l'un des plus grands compositeurs de notre époque. Henri Dutilleux s'est éteint à Paris ce 22 mai 2013 à l'âge de 97 ans. Tout au long du XXème siècle, son oeuvre gorgée d'onirisme et de poésie (souvent la matière première de ses compositions), aura tracé un chemin à nul autre pareil.
C'est à Angers, dans le Maine-et-Loire, que naît Henri Dutilleux en 1916. Il passe ensuite son enfance à Douai, dans le Nord, où il affûte ses premières armes musicales avec par exemple une mélodie sur un poème de Millevoye. Puis il gagne la capitale en 1932, s'inscrivant comme auditeur au Conservatoire National Supérieur de Musique, d'abord dans la classe d'Henri Busser pour y apprendre la composition.
L'année suivante, il intègre le prestigieux établissement et bénéficie des cours de Jean et Noël Gallon ( harmonie, contrepoint et fugue), de Maurice Emmanuel (Histoire de la musique) et de Philippe Gaubert (direction d'orchestre).
En 1939, la guerre le mobilise en tant que brancardier, jusqu'en 1940. Deux ans plus tard, Dutilleux se rapproche de l’Opéra de Paris et y accompagne les chanteurs, donnant également des leçons de piano pour gagner sa vie. L'année suivante, il entre à Radio France où il restera jusqu'en 1963 comme directeur du service des illustrations musicales. Il y cotoie des musiciens aux profils très variés et commence à se forger sa palette harmonique, toujours soucieux de ne pas laisser son langage propre se faire malmener par les conformismes.
Très tôt, je sentais que je devrais, dans mes œuvres à venir, prendre mes distances à l’égard d’un certain esprit de musique française qui se limiterait au domaine de la clarté, de l’élégance et de la mesure.
Henri Dutilleux
Pendant et après la guerre, la carrière du compositeur prend son essor. Il créé ses premières œuvres importantes : Quatre mélodies pour chant et piano (1943) et Geôle pour chant et orchestre (1944, sur un poème de Jean Cassou).
En 1947, il écrit une oeuvre majeure et chargée d'émotion : une sonate dédiée à son épouse, la pianiste Geneviève Joy. Quatre ans plus tard, il se lance dans la composition de sa première symphonie. Henri Dutilleux devient professeur à l’Ecole normale de musique en 1961 et, en 1965, écrit sa symphonie la plus fameuse et certainement la plus jouée de par le monde, Les Métaboles .
1970 voit son retour au CNSM de Paris, en tant qu'enseignant cette fois.
Cette même année, le grand "Rostro" lui commande un concerto pour violoncelle : Henri Dutilleux écrit pour lui "Tout un monde lointain" (titre emprunté à l'un des poèmes des Fleurs du mal , de Baudelaire), qui contribue encore à son succès.
Dutilleux ne reste au CNSM qu'un an, finalement désireux de se consacrer pleinement à la composition, et plus largement à la musique contemporaine qu'il parvient à faire apprécier de tous. Fait rarissime pour ce courant musical, son quator à cordes "Ainsi la nuit" est plébiscité par le public qui réclame un bis dès sa première audition.
Henri Dutilleux a reçu un grand nombre de prix nationaux et internationaux, dont le 1er Grand Prix de Rome en 1938, et le Grand Prix national de la musique en 1967. Amoureux de la diversité musicale, il était membre de plusieurs académies à l’étranger, comme l'Académie royale de Belgique, ou encore l'American Academy and Institute of Arts and Letters de New York.
Finalement peu prolifique, mais toujours infiniment soucieux de qualité et d’authenticité, Henri Dutilleux mettait un point d'honneur à ne pas se laisser formater par les écoles et les courants, tout en reconnaissant l'enrichissement qu'ils apportaient. Est-ce pour cette raison ? Son oeuvre n'a jamais été boudée par le public mélomane qui le considérait unanimement comme un génie.
"Henri Dutilleux défend la nécessité pour un compositeur d’être autodidacte ", titrait d’ailleurs Le Monde en 1997.
Sa dernière composition datait de 2007 et avait été écrite pour Renée Fleming, célèbre soprano américaine : il s'agissait d'une mise en musique des textes de Jean Tardieu et Robert Desnos, créée en mai 2009 à Paris par le chef d'orchestre japonais Seiji Ozawa.

> Ecoutez ici Rodolphe Bruno-Boulmier, producteur à France Musique, tracer le parcours d'Henri Dutilleux au micro de Camille Magnard :
> Mercredi 22 mai, Le Journal de la culture de Xavier Martinet était entièrement consacré à Henri Dutilleux, avec la réaction des musiciens Karol Beffa et Eric Tanguy :
> Jeudi 23 mai, dans la Matinale de France Culture, Jean-Pierre Derrien rendait hommage à Henri Dutilleux et présentait les programmes consacrés au compositeur sur France Musique :