Ca tombe assez bien que je sois privé de voix ce matin parce que je n’assume pas vraiment ce que je vais dire. Je voudrais profiter de cette discussion sur la puissance américaine pour avancer une théorie qui m’est venue il y a quelque temps, et qui est trop complotiste pour être énoncée avec une autre voix que celle dont je suis doté ce matin.
Cette théorie, je vous la livre en bloc : l’affaire Snowden profite à l’Amérique. Oui, je répète, l’affaire Snowden, loin de déstabiliser les Etats-Unis, leur sert à manifester leur puissance.
Je vais essayer d’expliquer mon raisonnement tordu.
Edward Snowden, tout le monde le sait, c’est cet informaticien américain, ancien employé de la NSA (l’Agence Nationale de la Sécurité Américaine), qui a décidé de rendre publique une série de documents qui montrent que les Américains, avec l’aide d’autres pays, ont installé un vaste système de surveillance des communications, à l’échelle du monde. Depuis juin dernier, pas une semaine sans qu’on apprenne l’existence d’une nouvelle brique de ce système. En gros, si l’on en croit ces documents, tout ce que vous faites transiter par les réseaux, toute votre activité téléphonique et numérique peut être surveillée, que vous soyez un simple citoyen, une ambassade, ou même une institution internationale. C’est énorme, presque inimaginable.
Face à de telles révélations, l’administration américaine devrait nier, se défendre pied à pied, minimiser. Et non, pas du tout, à chaque révélation, la réponse est à peu près la même « il existe un logiciel qui permet de lire tous les mails et les conversations privées sur les réseaux ?.... Oui, en effet, mais rassurez-vous, nous l’utilisons dans un cadre très défini ». « On surveille les réseaux sociaux en faisant des schémas hypercompliqués pour voir qui communique avec qui ? Ah ouais, mais que pour les étrangers, ne vous inquiétez pas. » Je caricature à peine….
Pourquoi l’administration américaine ne se défend-elle pas plus ? Cette question m’obsède. On peut envisager plusieurs hypothèses.
D’abord parce que ça n’est pas nouveau. Avant tout ça, il y avait eu Echelon, Echelon qui avait été installé dès le début des années 80, Echelon était déjà un système de surveillance massif. Et la révélation de l’existence d’Echelon au milieu des années 90 avait fait du bruit, mais n’avait pas renversé la démocratie américaine. Alors pourquoi s’énerver cette fois-ci.
Ensuite parce que ce système, en grande partie, est légal. Tout ce qui concerne l’étranger entre dans le Patriot Act. Et d’ailleurs, hier, vient d’être réconduite l’autorisation de la collecte des métadonnées téléphoniques. Mais, même légale, c’est un système politiquement et moralement condamnable, c’est l’angle d’attaque des défenseurs des libertés individuelles et c’est admis par le Président Obama quand il promet plus de transparence. Mais, là, il y a l’argument massue, qui a tout de suite été brandi par Obama : si vous voulez être bien protégés, il faut faire quelques sacrifices.
Mais peut-être que si la défense est si faiblarde, c’est qu’il n’y pas grand intérêt à se défendre.
Certes, il y a un petit prix politique et moral à payer dans cette histoire, mais songez maintenant au gain. N’est-il pas stratégiquement très utile que le monde entier croie qu’il est sous votre regard ? Que tout le monde vous pense si puissant que tout mail envoyé dans le monde arrive sur le bureau d’un analyste de la NSA ? N’est-ce pas le signe ultime de votre puissance ?
Je ne pousse pas le complotisme jusqu’à imaginer que ces fuites ont été voulues, qu'Edward Snowden est un agent double, ou même qu’il a été manipulé (quoique ça ferait un chouette scenario). Ce que je dis simplement, c’est que les documents fuités ne permettant pas de savoir comment tout cela marche, et même de savoir si ça marche vraiment, l’administration américaine a tout intérêt à laisser croire et d’en faire la dernière fiction de sa toute-puissance.
Bon, je vous avais dit dès le départ que ce n’était pas très assumable comme théorie.