> Debussy, musicien esthète (1) | Debussy, musicien esthète (2)

Debussy, compositeur amoureux des arts visuels s'il en fut ! En 1911, sept ans avant sa mort, il écrivait à son pair, Edgard Varèse : "moi qui aime les images presque autant que la musique ". Turner, Odilon Redon, Edgar Degas, Camille Claudel, figurent parmi les artistes qu'il a rencontrés et qui ont su l'émouvoir, par exemple aux mardis de Mallarmé qu'il fréquentait.
Mais c'est également chez trois familles amies, celles du peintre Henri Lerolle, du musicien Ernest Chausson, et du conseiller d'Etat Arthur Fontaine, tous mécènes, qu'il se familiarisa avec les grandes oeuvres de son époque.
A l'occasion des 150 ans de la naissance de Debussy, le musée de l'Orangerie, à Paris, présente actuellement l'exposition Debussy, la musique et les arts , qui se tiendra jusqu'au 11 juin. Elle a pour ambition de témoigner de la présence des arts visuels dans l'entourage de Debussy, et de montrer comment ceux-ci l'ont influencé dans l'écriture de ses plus grandes oeuvres. De cet ensemble, très beau mais dans lequel il est parfois difficile de se retrouver - les cartels ne disent pas toujours comment rattacher les oeuvres à Debussy et à son travail de compositeur -, nous avons retenu certaines pièces, du préraphaélisme jusqu'au symbolisme. Jean-Michel Nectoux, conservateur général et musicologue, les a commentées pour nous.
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Les familles Lerolle, Chausson et Fontaine
Né à Saint-Germain-en-Laye dans un milieu modeste (ses parents étaient céramistes), Debussy n'en a pas moins développé très tôt ses talents de musicien au Conservatoire de Paris, ville qu'il a gagnée, avec sa famille, en 1867. L'exposition s'appuie très largement sur l'idée qu'il a été, dans sa jeunesse, fortement influencé et aidé financièrement par trois familles qui auraient fait son éducation : celles de Lerolle, Chausson et Fontaine. Ainsi, Jean-Michel Nectoux affirme que le peintre Henri Lerolle est devenu un intime de Debussy dans les années 1890, et que le compositeur lui soumettait chaque scène de Pelléas et Mélisande , une fois terminée. Ces trois familles, ouvertes à la nouveauté, pourvu qu'elle soit de qualité, étaient reliées par le fait que Lerolle, Chausson et Fontaine avaient tous trois épousé les soeurs Escudier, elles-mêmes musiciennes ("Marie Fontaine chantait, accompagnée au piano par Debussy ."). Ils étaient donc beaux-frères et recevaient chez eux André Gide, Pierre Louÿs, Edgar Degas, Paul Valéry, Paul Claudel. Dès 1900, précurseurs par rapport aux goûts de l'époque, ils collectionnaient aussi Gauguin et Bonnard.
"Debussy a eu la chance de baigner dans cette période de la Revue blanche, du symbolisme, de fréquenter les mardis de Mallarmé. Il a vu Whistler, Verlaine, Gauguin, et tant de poètes. Pour lui, jeune homme de 30 ans, être reçu par Mallarmé pour parler de musique de scène pour le Faune, c’était une chance inouïe. Et il la méritait. La preuve, c’est qu’il a écrit un chef-d’œuvre. ", ajoute le conservateur.
Une version réduite d'une toile d'Henri Lerolle témoigne du rapport entre la famille de ce peintre et celle de Chausson. Il s'agit de A l'orgue , oeuvre envoyée aux Etats-Unis dès 1888 par Durand-Ruel, grand marchand des impressionnistes en France. L'original se trouve également outre-Atlantique, au Metropolitan Museum de New York :
Premières influences. Debussy et le préraphaélisme

Au début de sa carrière de compositeur, alors qu'il a vingt-cinq ans, Debussy s'inspire d'un poème de Dante-Gabriel Rossetti, The Blessed Damozel, pour écrire l'une de ses cantates : La Damoiselle élue . Ce poème, Rossetti, également peintre, l'avait lui-même transcrit sur la toile.
Il n'est pas certain que Debussy ait jamais vu ce tableau original, exposé ici pour la première fois à Paris. Mais sans doute le connaissait-il par des images. Car beaucoup de reproductions en noir et blanc de la peinture préraphaélite étaient diffusées en France.
"On sait que Debussy possédait des reproductions, des gravures de tableaux préraphaélites. ", affirme Jean-Michel Nectoux. Avant d'insister sur le fait que La Damoiselle élue était la première grande oeuvre du compositeur :
Outre le préraphaélisme, l'exposition s'attache aussi à montrer que d'autres mouvements importants de l'art, au tournant des 19e et 20e siècles, ont eu une influence sur le travail de Debussy. Et notamment l'Art nouveau et le japonisme.
Objets chers à Debussy : Art nouveau et japonisme
Art nouveau

Partisan (hérault ?) de la modernité, Claude Debussy se montrait évidemment très intéressé par l'Art nouveau, qui avait le vent en poupe à la fin du 19e siècle. Et pour preuve : en 1895, le célèbre marchand d'art Siegfried Bing ouvrait une boutique consacrée à ce style, rue de Provence. Mais Debussy n'a pas eu besoin de se rendre à cette enseigne pour acquérir cet objet auquel il était très attaché : une Valse de Camille Claudel, sculptrice et soeur de Paul Claudel :
Japonisme, exotisme
Un autre art influençait considérablement tous les artistes contemporains à Debussy : celui en provenance du Japon, et plus largement de l'Asie. Ravel, Mallarmé, Degas, mais aussi les nabis, Bonnard et Vuillard, possédaient des estampes, objets que l'on trouvait assez facilement à l'époque.
Debussy avait lui aussi été charmé par l'extrême raffinement des oeuvres japonaises : "Les photos que l'on a de son intérieur montrent qu'il possédait - comme Stravinsky, Satie,…- plusieurs objets japonais dans son bureau. Ils étaient pour lui une source d’inspiration par la pureté des formes, la beauté des matières, la finesse de la porcelaine chinoise. Par exemple il avait une petite coupe chinoise à alcool, blanche, sans aucune ornementation, authentiquement blanche. C’est une des très belles choses qui lui appartenaient. Concernant la musique, on sait qu’il possédait des instruments exotiques indiens et qu'il était notamment passionné par le gamelan de Java ; il l'avait découvert à l’exposition universelle. Des instrumentistes étaient venus d’Indonésie avec des danseuses, et Debussy était fasciné par ces sonorités de percussions, très simples, avec une efficacité dramatique considérable. Ces petites percussions qu’on entend dans La Mer ou dejà dans le Faune, sont d’inspiration orientale ."
Quel meilleur témoin de l'influence de l'art japonais sur l'oeuvre de Debussy, que le bureau où il la composait ?

Le thème de la carpe se déclinait à loisir dans l'art japonais. Ce panneau laqué, évoqué par Jean-Michel Nectoux, inspira au compositeur une pièce pour piano exceptionnellement miroitante : Les Poissons d'or :
