Le monde dans le viseur | Jusqu’ici épargnée par la violence djihadiste, l’Autriche a connu sa première tuerie revendiquée par le groupe État islamique, dans la soirée du 2 novembre. Retour sur ce choc avec l'image d'un couple qui se recueille devant un des lieux du drame couvert de bougies.
Dans la nuit viennoise, un couple s’étreint devant un restaurant où le terroriste, sympathisant du groupe État Islamique, a semé la mort dans la soirée du 2 novembre 2020. Dans sa course meurtrière dans le centre de la ville, il a assassiné quatre personnes et en a blessé vingt-deux autres, avant d’être abattu par la police.
La population est en état de sidération. L’Autriche et sa capitale Vienne sont associées à une image de tranquillité et de sécurité, à un art de vivre raffiné et ancestral. Le pays fait rarement la une de l’actualité mondiale pour des actions violentes commises sur son territoire.
La dernière fois remonte au 21 décembre 1975, quand le terroriste Carlos avait kidnappé les représentants des pays pétroliers qui se réunissaient au siège de l’Opep à Vienne. Filmée et retransmise en direct par les télévisions du monde entier, cette prise d'otages, qui fera trois morts, marquera une sorte d'apogée dans l'histoire du terrorisme international.
Quarante-cinq ans plus tard, Vienne est à nouveau ensanglantée et placée sous le feu des projecteurs. Le photographe de l’AFP Joe Klamar, qui vit sur place, tente de saisir la douleur et l’émotion qui ont submergé les Autrichiens après la tragédie.
"Le photographe a choisi la bonne distance pour accentuer le recueillement : ni trop près, ni trop loin", décrypte Brigitte Trichet, présidente et cofondatrice d’Hemeria, maison d’édition spécialisée dans la photographie.
Il réussit à capter l’émotion avec de la pudeur et de l’éthique.
Une forme de sacralisation du recueillement
"Il y a aussi une forme sacralisation de ce moment avec cette lumière rougeoyante qui évoque une chapelle ardente avec les pavés d’une vieille église", poursuit Brigitte Trichet. Elle cite Raymond Depardon, qui aime à dire qu’en photographie, la lumière fait le bonheur tandis que le cadre crée la douleur. "Ici, c’est plutôt une lueur d’espoir."
Évidemment, l’image de Joe Klamar a une résonance particulière, qui dépasse les frontières autrichiennes. Le menu affiché au mur, les tables et les chaises en osier rappellent la tragédie du 13 novembre 2015, quand les terroristes avaient pris pour cibles les terrasses de plusieurs cafés et restaurants parisiens.
Quand on est Français, la lecture de la photo est immédiate. Ce qui change ici, c’est la langue, mais au fond, c’est une image qui prend une dimension universelle.
Ce couple, qui s’étreint devant un parterre de bougies éclairant la nuit, invite au recueillement et au silence. "Mais que se passe-t-il hors cadre ? s’interroge Brigitte Trichet. On entend certainement les échos d’un monde assourdissant."
Une faille des services de sécurité
Derrière l’émotion et le recueillement percent sans doute la colère et le dépit des services de renseignement autrichiens, qui ont laissé dans la nature l’assaillant. Ce dernier figurait pourtant sur les écrans radars des autorités.
Kujtim Fejzulai, 20 ans, originaire de Macédoine du Nord mais né à Moedling, au sud de Vienne, avait été condamné en avril 2019 à 22 mois de prison pour avoir tenté de faire le djihad en Syrie. Il avait été libéré de manière anticipée.
Intégré dans un programme de "déradicalisation", Kujtim Fejzulai avait réussi à "tromper" les personnes chargées de son suivi, a déploré près la tuerie le ministre autrichien de l'Intérieur Karl Nehammer. Une tactique de dissimulation, la "taqiya" en arabe, bien connue des djihadistes.
Selon la police, entre 2011 et 2018, quelque 300 candidats au djihad ont quitté ou tenté de quitter le territoire autrichien pour aller combattre en Syrie et en Irak, dont 50 ont été interpellés en route, 40 ont trouvé la mort sur place et 90 sont rentrés en Autriche.
Cette tragédie du 2 novembre 2020 sonne "comme un douloureux rappel que nous sommes désormais également en première ligne", écrivait dans son éditorial du jour d'après le journal libéral Der Standard.
Comme si l’Autriche, pays sans histoires confortablement niché au centre de l’Europe et protégé par les Alpes, ne pouvait, elle non plus, échapper aux convulsions d’un monde violent et dangereux.
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