Quel est le calendrier du Brexit ? Dans quelles conditions juridiques s'est-il préparé et va-t-il se dérouler ? Comment le Royaume-Uni et l'Union européenne vont-ils pouvoir rester liés ? Autant de questions posées à Jean-Claude Piris, éminent juriste européen. Entretien.

Quelques jours avant le référendum, Jean-Claude Piris s'est placé dans l'hypothèse d'un Brexit. Et le directeur général du service juridique du Conseil des ministres à l’Union européenne pendant 23 ans, toujours conseiller aujourd'hui notamment de Monaco en droit européen, a répondu aux questions de Catherine Duthu et d'Eric Chaverou :
Une lettre officielle puis un délai de deux ans
"Il y a beaucoup de malentendus. Parce qu'évidemment, ce 24 juin, il n'arrive rien ! Rien n'arrive sur le plan juridique. Rien ne change. Le Royaume-Uni reste membre de l'Union européenne et il faudra toute une série de procédures avant que la sortie se fasse. Immédiatement, il y aura d'abord un petit chaos politique à Londres (...) et pendant le point de départ des délais qui sont prévus, juridiquement, dans les traités de l'Union européenne, n'a pas démarré. Parce que le point de départ, c'est une lettre, une communication du gouvernement britannique disant qu'il déclenche cette procédure. A ce moment là commence un délai de deux ans prévu par le traité pour négocier disons un accord de divorce entre l'Union européenne des 27, représentée par la Commission, et le Royaume-Uni. Deux ans qui peuvent être allongés d'une année, mais à l'unanimité des 27."
Et après ? Modèle suisse ? Norvégien ?
Pour Jean-Claude Piris, le Royaume-Uni refusera le modèle de la Norvège, qui fait partie de l'Espace économique européen avec le Liechtenstein et l'Islande. Car ces pays doivent obéir aux "4 libertés du marché intérieur et notamment la liberté de mouvement des personnes, qui ne plaît pas beaucoup au Royaume-Uni car cela veut dire libre immigration des ressortissants de l'Union européenne. Et il y a toute une partie de l'opinion publique britannique qui s'imagine qu'il y a une invasion de ressortissants de pays de l'UE chez eux, que c'est trop, que cela pèse sur leurs finances, etc." Il faudrait aussi recopier toutes les normes et standards et toutes les lois qu'adopte l'Union européenne en matière de marché intérieur. "Et puis ensuite, ils doivent obéir à une interprétation uniforme de ces textes qui est dictée par la cour de justice européenne. David Cameron a dit que ce modèle était inacceptable."
"L'autre solution évoquée est l'option suisse. Mais selon moi, elle ne convient pas davantage. La Suisse a conclu plus d'une centaine d'accord avec l'Union européenne, et grosso modo, ils participent à tout ce qui compose le marché intérieur. Sauf une chose extrêmement importante pour le Royaume-Uni : les services. C'est 2/3 de l'économie britannique aujourd'hui, surtout les services financiers. Donc, cela serait une grave lacune, et en plus, la Suisse a elle aussi accepté la libre circulation des personnes. Même s'il y a un problème maintenant là-bas en raison d'une votation qui a refusé d'appliquer cette libre circulation à la Croatie."
"Le seul modèle possible, c'est de négocier un traité de commerce et d’association qui serait un peu inédit."Mais sans avoir une participation totale au marché intérieur, comme la Norvège et la Suisse. Parce que plus vous voulez participer, avoir accès, au marché intérieur, et plus vous êtes colonisé politiquement parce que vous devez recopier les lois sur le marché intérieur qui sont adoptées par l'Union européenne, et pas par vous !"
