La Cour de Justice de l'Union européenne établit un lien direct entre le droit de séjour et le droit à bénéficier des prestations sociales dans un pays. Dans un arrêt rendu mardi 11 novembre, elle statue que les Etats membres ne sont pas tenus d'octroyer des prestations sociales à des immigrés intracommunautaires qui ne cherchent pas de travail.
La Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) avait été saisie par une Roumaine, Elisabeta Dano. Avec son fils, elle vit chez sa sœur à Leipzig depuis 2010 et s’est vue refuser les aides sociales par l’Agence pour l’emploi allemande, au motif qu'elle ne cherchait pas activement du travail. La justice européenne a suivi la décision du tribunal de Leipzig, estimant qu'elle état conforme à la directive européenne sur la libre circulation. Cela confirme l’avis de l’avocat général de la CJUE, Melchior Wathelet. En mai dernier, il avait estimé que la décision de l’Allemagne permettait « d’éviter les abus et une certaine forme de « tourisme social », reprenant l'expression de ceux qui énoncent un abus du principe de libre circulation entre États membres de l'Union européenne.
Un message politique dans le débat européen Cette décision intervient alors que ces thématiques ont favorisé une poussée des formations europhobes.
« C'est une forme de message politique adressé aux Etats membres, qui leur dit qu'ils ont le droit de limiter l'accès des inactifs aux prestations sociales » , estime Serge Slama, maître de conférence en droit public à l'Université Paris-Ouest.
En Angleterre, David Cameron qui avait annoncé qu'il souhaitait limiter l'immigration en provenance des autres pays de l'UE, s’est d'ailleurs félicité de cette décision.
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Mais elle ne l’autorise pas pour autant à remettre en cause le principe de libre-circulation des personnes. Comme le rappellent les explications de notre correspondant à Londres, Franck Mathevon .
En Allemagne, la plupart des partis se sont réjouis de cette décison, censée limiter les abus.
La portée symbolique
Cette décision n'apporte rien à l'état actuel du droit sur les conditions d'accès aux prestations, mais « ce qui est nouveau c'est l'argumentaire de la lutte contre le "tourisme social". Symboliquement cela valide le diagnostic porté par une partie du spectre politique qui fait de la libre circulation des personnes un problème. C'est inquiétant par ce que cela révèle d'un climat », estime Antoine Math , chercheur à l'IRES et spécialiste de la protection des droits sociaux au Gisti.
De fait, le Front national , qui a longtemps prôné la suppression des prestations sociales pour les étrangers, s’est félicité ce matin de cette décision. « Elle apporte la preuve que la priorité nationale aux aides sociales est possible, estime Louis Aliot. La Cour vient donc de valider un type bien précis de priorité nationale. (...) C'est une avancée dans un débat qui ne fait que s'ouvrir, à un moment où la charge déraisonnable du traitement social de l'immigration devient une évidence pour beaucoup ».
A gauche, Bruno Le Roux a estimé lui que « cela montre bien que dans les pays où il y a de fortes disparités - et il y en a au sein de l'Union européenne - dans nos systèmes de prestations sociales, il y a des déplacements - très minoritaires certainement, mais ils existent - qui se fondent sur l'accès à des prestations. »
Qu'est-ce ça peut changer en France ?
En pratique, cette décision ne change rien en droit pour la France, car l'accès aux prestations sociales est déjà encadré.
Contrairement à ce que semble croire le député UMP et candidat à la présidence de l'UMP Hervé Mariton qui s'exprimait sur France 2 : il expliquait que cette décision « rappelle qu'on a tout à fait le droit de privilégier les résidents en France s'agissant des aides sociales et qu'on ne doit pas entrer en France et bénéficier d'aides sociales automatiquement. »
Seulement voilà, en France les étrangers ne bénéficient pas « automatiquement », des aides sociales. Il faut notamment jusitifier d'au moins trois mois de présence sur le territoire pour toucher le RSA. Ou encore, pour toucher les allocations familiales, les immigrés européensdoivent travailler ou, s'ils sont non-actifs ou étudiants, « justifier de ressources suffisantes et d'une assurance maladie. »
Le « tourisme social » existe-t-il ? L'expression est désormais utilisée par ceux qui dénoncent un abus du principe de libre circulation entre Etats membres de l'Union européenne. Au printemps, dans un courrier commun adressé à la Commission européenne, les ministres de l'Intérieur du Royaume-Uni, d'Allemagne, des Pays-Bas et d'Autriche s'alarmaient de l'arrivée de nombreux migrants européens sollicitant des prestations d'aide sociale. Un courrier froidement reçu par la Commission : elle en mettait en cause la réalité factuelle. « Ils font allusion au phénomène, mais il n'existe aucun fait ou chiffre pour illustrer le problème qu'ils ont soulevé. Et nous n'avons reçu des données spécifiques d'aucun autre État membre concernant l'ampleur de ce présumé tourisme de prestations sociales » expliquait alors Jonathan Todd, le porte-parole du commissaire européen, Lázló Andor. Ce dernier avait d'ailleurs estimé dans un entretien aux Echos, que « le tourisme social est un mythe ».
En revanche, en 2013, un rapport du cabinet-conseil ICF-GHK pour la Commission européenne rappelait qu’une vaste majorité des immigrants se rendent dans un autre État membre pour travailler et non pour recevoir des avantages sociaux. Dans la plupart des pays,les immigrants de l'UE représentent moins de 5 % des bénéficiaires de l'aide sociale . Selon la Commission européenne, ces migrants contribuent dans l’ensemble aux finances de leur pays d'accueil, parce qu'ils paient plus de taxes qu'ils ne reçoivent d'avantages.
Que dit l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne ?
La Cour juge par son arrêt que pour pouvoir accéder à certaines prestations sociales (telles que les prestations allemandes de l’assurance de base),les ressortissants d’autres États membres ne peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil que si leur séjour respecte les conditions de la directive « citoyen de l’Union ».
À cet égard, la Cour rappelle que, selon la directive, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour .
Lorsque la durée du séjour est supérieure à trois mois mais inférieure à cinq ans (période qui est en cause dans la présente affaire), la directive conditionne le droit de séjour au fait notamment que les personnes économiquement inactives doivent disposer de ressources propres suffisantes.
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