Lors de la préparation de l’émission d’aujourd’hui, Philippe Subra, l’un des deux invités, avec Martin Vanier, m’a rappelé qu’il était membre du comité de rédaction de la revue Hérodote. Qu’à cela ne tienne. Je me suis replongé dans le numéro 40.
Paru en 1986, il a pour titre: “géopolitiques de la France”, avec une couverture bleu-blanc-rouge assez inatendue, mais réussie. Béatrice Giblin y délivre un article scientifiquement militant: “géopolitiques des régions françaises”. Quelques jalons de son article: “pourquoi le politique a-t-il si longtemps été exclu de la géographie régionale?”. A cause du mythe des frontières naturelles. Même la géographie régionale reposant sur la théorie de la polarisation, bien que se détachant du fixisme, naturalisme et autre essentialisme (Bernard Kayser: “la région est un espace précis mais non immuable…” in Géographie active, 1965), ignore le politique et ses acteurs.
Je vous recommande les deux pages que BGiblin consacre aux analyses de Jean Labasse, “banquier-géographe”. dans un article des Annales de Géographie de 1960, il écrit: “le critère métropolitain est le seul recevable en ce domaine de géographie volontaire”. Il s’en prend avec fougue au premier découpage de ces régions de programme, forgée dès 1955 par notre République jacobine bien aimée. Il est à peu près inchangé aujourd’hui, avec nos régions et leurs conseils élu au suffrage universel depuis 1986.
Vous rappelez vous les fameuse métropoles d’équilibre? Je n’ai pas encore bien compris si la République a cherché à justifier a posteriori la découpage régional de l’époque par ce label métropolitain. Ou bien si, dès 1955, les hauts fonctionnaires du Plan et de l’Intérieur, inspirées par les théories de Christaller et Lösch, identifièrent des villes à “métropoliser”, puis en déduisirent des régions à polariser. Pouruqoie fallait il faire émerger des territoires régionaux? Pour faire pièce à “Paris et le désert français”, le terrible livre publié par Jean François Gravier en 1947.
Toujours est il que nous avons deux Normandie, une car Caen; et une car Rouen. Une Auvergne et un Limousin: car une Clermont et une Limoges. (j’espère que je ne commet pas d’erreur - je n’ai pas relu l’espace français de Daniel Noin, je le regrette!). J’en reviens à Béatrice Giblin et Jean Labasse. La première indique que seule deux espaces régionaux sont polarisé ou structurée par le critère métropolitain: la région parisienne, et justement, la région lyonnaise. Jean Labasse confondait il le lieu d’où il parle (comme on disait dans les années structuralistes naissantes) et la France entière?
Toujours est il qu’il contribua à une modification majeure, obtenue de haute lutte (politique) : la fusion des régions Rhône et Alpes! Soit la victoire de la polarisation lyonnaise sur la polarisition grenobloise, la première absorbant l’autre. Le “géographisme” en prend un coup: le découpage de la Région Alpes n’était-il pas justifié par l’unité que confère la Montagne, son système, son organisation séculaire, son industrialisation récente, etc. ?
J’y pense en passant: Bernard Debarbieux sort incessament son livre sur la montagne, une invention politique (titre exact à vérifier), aux éditions du Cnrs. J’en reviens à l’émission du jour. Martin Vanier est professeur de géographie à Grenoble. Peut être nous acontera-t-il sa lecture de Jean Labasse…Il vient de rééditer son livre Le pouvoir des territoires (Economica). je retiens de son livre que la tentation du redécoupage permanent est une illusion de l’idéal cartésien autant que de l’idéal de l’aménagement du territoire. Les espaces teritoriaux sont complexes. La soit disant superposition de structures de plus en plus nombreuses correspondrait, en fait, à des réponses pertinentes à des réalités spatiales différenciées. L’espace des réseaux d’adduction de fluides n’est pas le même que celui des transports, qui ne se supperposent pas avec ceux du développement économique, ni avec ceux des mobilités, etc.
D’où les concepts proposés par Martin Vanier: interterritorialité et fédéralisme. J’ai retenu qu’il s’agit 1-d’organiser de la fluidité et de la connexion entre les différentes structures territoriales (faire à l’échelle infra-nationale ce que les Etats, quand ils sont dans une optique coopérative et multilatéraliste, tentent de faire avec l’international); 2-d’introduire de la légitimité politique et démocratique, participative, dans ces structures. bref, de se défier du tropisme de chaque niveau (Région, Département, Commune, Syndicat mixte…) à défendre et consolider sa souveraineté. C’est contre productif. Marin Vanier dit ainsi: “il n’y a pas de découpage pertinent; il y a des assemblages pertinents”.
Or, tout projet gouvernemental de redécoupage ou de décentralisation en trompe l’oeil pousse à ce type de réflexe. Les gouvernements voient en efet la question en terme de compétence à déléguer et de niveau à spécialiser. Hors, la spécialisation qui ferait correspondre des échelles à des questions à traiter est illusoire. On le voit bien avec les réseaux de transport et les mobilités. On le voit bien avec l’éducation et la formation. Pour Philippe Subra, les projets de redécoupage au nom du territoire idéal sont d’autant plus illusoires que - j’en reviens à Hérodote 1986 - chaque Région est mue par des jeux d’acteurs politiques, des conflits et des compromis de pouvoirs, des positions acquises et à défendre. La fonction des teritoires politiques, rappelle-t-il, est de donner des mandats et du pouvoir. S’intéresser au développement des territoires par le biais du redécoupage ne peut que susciter des blocages et des joutes politiciennes! Il conviendrait pourtant de favoriser des débats politiques sur des options politiques.
Martin Vanier propose le même type de décentrement: il prône de faire une géographie des politiques conçues et mises en oeuvre par les Conseils régionaux; de comparer les cultures politiques des diférentes régions. L’analyse des transports serait ainsi particulièrement évocatrice.
Les transports? c’est précisément ce que le projet gouvernemental du Grand Paris entend confisquer à la Région Ile de France, cinq ans après que les nouvelles lois de décentralisation ait confié à la Région IdF les rennes du Stif (le syndicat des transports d’Ile de France). Pour Philippe Subra, qui vient de publier un petit livre sur Le Grand Paris chez A. Colin, l’objectif est clairement politique: la Droite veut enlever à la Gauche du pouvoir. Idem avec le projet d’élire, en 2014, des conseillers territoriaux en lieu et place des conseillers régionaux et des conseillers généraux: 80% des conseillers régionaux seraient ainsi des élus des conseils généraux du département: les conseils régionaux seraient vidés de leur substance politique au profit des départements. Le mode d’élection envisagé renforcerait cet objectif de combat: scrutin majoritaire de liste à un tour. Avec ce mode de scrutin, l’UMP, aurait emporté 9 Régions car arrivée en tête, quand bien même ses listes n’y obtinrent qu’un tiers des suffrages et moins que le total des listes de gauche. Un tel mode de scrutin poussera les partis à faire des listes fusionnées dès le premier tour - alors qu’aujourd’hui les listes ayant ateintes au moins 5% au premier tour ont la possibilité de fusionner, voire de se maintenir quand elles dépassent 10%. Il en découleait donc une réduction de l’offre politique. Or , pour Philippe Subra, cette réduction est un facteur d’abstentionisme: c’est ainsi qu’il interprète pour partie le score étriqué de l’UMP (la Droite a son plus bas niveau depuis 1958) alors que dans le même temps une proportion inhabituellement élevé d’électeurs de Droite choisissaient l’abstention.
Pour la géographie électorale du dernier scrutin, je vous renvoie aux billets et aux cartes des 15 et 22 mars derniers sur ce même Globe, le blog de Planète terre. Ils comprennent, notamment, deux entretiens avec P. Subra.
Pour l’émission du jour: je vous renvoie à la page web de Planète terre, avec le liens vers des articles de Martin Vanier et de Philippe Subra. Et aussi: les articles “régions” du dictionnaire “Lévy-Lussault” chez Belin; la Géohistoire de la régionalisation en France, de JM Miossec (Puf); l’article de C. Queva sur les paradoxes de la Région en allemagne, entre réseaux et territoires (Annales de géographie n° 653, 2007). Pour info aussi: Ph. subra sera l’invité de Questions d’éthique le 26 avril soirée, sur France culture aussi, dans une émission sur le Grand Paris.
(NB: le direct approche, je relirai après l’émission: meci de votre indulgence provisoire pour les fautes de frappe et d’accord, ok?)