L'Elysée a annoncé le maintien de la salle de presse dans la cour du palais et l'ouverture d'une seconde salle dans un bâtiment annexe, mettant fin à la polémique provoquée par le projet d'un déménagement. Depuis 40 ans, les journalistes profitent d'un emplacement privilégié avec vue sur la cour.
Les tensions entre Emmanuel Macron et les médias devraient descendre d'un cran. Le Président français, déjà très critique à l'égard des journalistes, avait décidé dès les premières semaines du quinquennat de déménager la salle de presse de l'Elysée dans une annexe à 100 mètres du palais pour proposer une salle "plus moderne et mieux adaptée".
Une centaine de mètres, hors du palais, qui faisait toute la différence selon l'Association de la Presse Présidentielle (APP). Elle fustigeait un manque de transparence de la part de la présidence. Aujourd'hui, la salle de presse donne vue sur la cour d'honneur de l'Elysée : la plupart des invités passent par là lorsque le Président les reçoit. Elle est ouverte à tous les journalistes accrédités à l'Elysée lors de grands événements. Mais elle offre aussi un accès permanent (24/24) à une poignée de reporters qui travaillent pour des agences de presse (AFP, Reuters, AP, Bloomberg) depuis le palais.
Ce vendredi, la polémique a tourné court : l'Elysée a annoncé le maintien de la salle historique, qui sera toutefois réduite de moitié, ainsi que l'ouverture d'une seconde salle dans un bâtiment annexe.
Cet emplacement idéal n'avait, jusqu'alors, jamais été remis en question par les présidents de la République depuis plus de quarante ans. La déplacer en dehors du palais aurait représenté une mise à l'écart pour Elizabeth Pineau, présidente de l'Association de la Presse Présidentielle (APP) journaliste et à Reuters. L'APP, qui regroupe environ 270 membres, s'est "réjouie de l'issue positive de ce dossier, qui avait suscité beaucoup d'inquiétude" chez les journalistes. Elle réagit au micro de Stéphane Robert :
Si l'actuelle salle de presse, donnant vue sur la cour d'honneur du palais, existe depuis le second septennat de François Mitterrand, les journalistes étaient présents bien avant au sein du palais présidentiel.
Un modeste bureau du temps de Charles de Gaulle
L'histoire de cette salle remonte aux prémices de la Ve République. Du temps du général de Gaulle, la salle de presse est un modeste bureau situé dans l'aile Est de l'Elysée. La salle est proche du palais, mais elle n'en prend pas l'allure. Loin des dorures et des belles tapisseries, elle n'est finalement qu'un simple bureau : des murs blancs et quelques tables pour travailler.
Sous Georges Pompidou, deux journalistes installent leur bureau permanent ici, rappelle la présidente de l'Association de la Presse Présidentielle (APP). "Il y avait un journaliste de l’AFP, Jean Mauriac, et un journaliste de France Soir qui étaient dans l’aile Est, le centre névralgique de l’Elysée."
Valéry Giscard d'Estaing, qui lui succède en 1974, conserve cette même petite salle de 15m2. A l'époque, Patrice Duhamel est journaliste politique et suit régulièrement les activités du Président : "Jusqu'en 1978/79, je faisais partie d'un petit groupe de journalistes politiques qu'il voyait régulièrement, toutes les six semaines environ, en fin d'après-midi. A la fin du quinquennat, le climat est devenu lourd et ses relations avec les médias se sont tendues."
Pour le journaliste et co-auteur du livre L'Elysée, coulisses et secret d'un palais, la salle de presse de l'Elysée est le reflet des relations entre le Président français et les journalistes :
Ce qui est intéressant avec cette salle de presse c'est qu'elle symbolise et cristallise les relations entre les journalistes qui suivent les activités du Président et qui sont régulièrement à l'Elysée, et le chef de l'Etat. Les relations avec les journalistes, notamment politique, ont toujours été très différentes d'un président à l'autre. Et cela symbolise d'une certaine manière la posture présidentielle des hôtes de l'Elysée.
Un "acquis" du second septennat de François Mitterrand
Lorsque François Mitterrand est élu président de la République en 1981, les journalistes accrédités de l'Elysée ont toujours accès à la même petite salle de presse située au niveau de l'aile Est du palais. Mais le Président va la déplacer jusqu'à son emplacement actuel.
Au départ, les journalistes n'ont aucune vue directe sur le perron et ils doivent attendre dehors, dans la cour, lorsque le Président reçoit un invité pour espérer l'interviewer. Seulement, en hiver, l'attente se fait plus longue, se souvient Michel Martin-Rolland, alors accrédité en permanence pour l'AFP (Agence France Presse) : "Le perron de l'Elysée est situé plein nord et six mois par an, on se gelait vraiment à attendre."
Avec deux confrères, accrédités eux aussi en permanence à l'Elysée, ils décident de demander au Président d'installer la salle de presse du palais au niveau de la cour d'honneur, afin de ne pas avoir à attendre dehors à chaque passage d'un invité :
Un beau jour de janvier, au moment de la fête des rois en 1988, le Président vient partager un morceau de galette dans notre bureau. Mes deux confrères me poussent en avant et je lui dis 'Monsieur le Président, puisque c’est le moment des vœux, nous avons un vœu pour l’année 88 concernant l'Elysée. Nous aimerions installer la salle de presse dans la cour d’honneur.' On lui propose le dortoir des gendarmes, il refuse d'abord puis nous dit : 'On en reparlera'. Quelque temps après, nous nous sommes installés à la place du dortoir des gendarmes.
Michel Martin-Rolland, ancien journaliste à l'AFP (Agence France Presse)
Cette nouvelle salle va changer les conditions de travail des journalistes accrédités de l'époque mais pas seulement : "De la part de Mitterrand c’était un geste de confiance, de transparence. Même si il faisait ce qu’il voulait car on n’était pas là pour espionner, pour nous c’était un acquis du second septennat. Les autres journalistes qui découvraient la nouvelle salle de presse était ravis."
Comme souhaité, la salle de presse donne sur la cour du palais. Elle n'est pas plus grande que la précédente mais les conditions de travail pour les agenciers sont meilleures. Une grande fenêtre leur permet de voir qui entre et qui sort, sans avoir à patienter à l’extérieur. "Nous n'écrivions pas des dépêches à chaque passage mais ça nous permettait de poser des questions et de mieux comprendre le fonctionnement de l’Elysée, précise Michel Martin-Rolland. Du temps de François Mitterrand il y avait un tas d’audiences qui n’étaient pas annoncées. On était ainsi beaucoup plus proche de la vie de la présidence que dans l’ancien bureau."
Si François Mitterrand avait pour réputation de se méfier des journalistes, les "permanents" de l'Elysée ont ainsi pu créer une relation de confiance :
C’était une présidence très secrète mais il y avait une confiance avec les accrédités de l’Elysée. Nous étions bienvenus à condition de bien savoir se tenir et de ne pas écouter aux portes. Il parlait beaucoup en 'off'. Avec mon collègue Pierre Favier, nous écrivions un livre sur son septennat. Il nous est arrivé de déjeuner avec le Président. On parlait de la vie, de la nourriture, de l’amour, de la littérature... C’était une époque où ce qu’on appelait le 'off' était respecté.
Des échanges rares mais privilégiés sous Jacques Chirac
Au fil des mandats, la salle de presse évolue mais elle garde toujours pignon sur cour. Ainsi, quand Jacques Chirac s'installe à l'Elysée en 1995, il décide de l'agrandir. "Cela permettait de mieux accueillir les journalistes étrangers", souligne Philippe Goulliaud, journaliste permanent de l'Elysée pour l'AFP sous Chirac. "C'était mon bureau, parfois je me disais que j’étais une sorte de concierge à l’Elysée. Il me manquait mon pot de géranium et mon chat."
Pourtant, le nouveau Président se méfie, comme la majorité des chefs d'Etat français, des médias. A l'époque, les réseaux sociaux n'existent pas et internet fait ses premiers pas. L'agenda complet de Jacques Chirac n'est pas communiqué comme peut l'être celui du Président aujourd'hui et surtout, la parole de Jacques Chirac dans les médias se fait rare. Elizabeth Pineau, en poste permanent à l'Elysée pour Reuters à la fin de son quinquennat, se souvient :
Jacques Chirac parlait une fois par trimestre et c’était un événement. Quand il parlait, c’était organisé, calibré, secret. Pendant des jours entiers on ne savait pas ce que le Président faisait. Imaginez, lors des émeutes de 2005, il a parlé au bout de 10 jours. Cela paraît complètement inimaginable aujourd’hui.
Les journalistes en poste permanent sont également très peu en contact avec le Président. Mais durant ses deux mandats, Jacques Chirac les recevra tout de même dans son bureau : "Le Président n'entre jamais dans la salle de presse. Lorsqu'on avait des entretiens avec lui ou des briefings 'off 'c’était dans le bureau de Jacques Chirac. Au moment des crises en Irak, on était reçus régulièrement", souligne Philippe Goulliaud. Cette salle de presse leur a aussi permis d'avoir, parfois, la primeur de l'information : "Le jour où Jacques Chirac a annoncé sa décision concernant le quinquennat, nous avions été reçus, nous, uniquement les agenciers, par les conseillers. C'était aussi un moyen d'assurer la rapidité de l'information."
Son temps, Philippe Goulliaud ne le passe pas exclusivement à l’intérieur de cette salle de presse. A chaque sortie de conseil des ministres, lui, et tous les journalistes politiques accrédités à l'Elysée, se rendent dans la cour d'honneur. A ce moment-là, le cordon rouge séparant les politiques des journalistes n'existe pas. "Tous les journalistes couraient après les ministres jusqu’à ce qu’ils entrent dans leur voiture en leur posant des questions et les ministres avaient des réponses un peu sauvages. Cela permettait d’avoir une parole beaucoup plus libre que maintenant", remarque Elizabeth Pineau. "Cela a pu parfois mettre dans des situations compliquées certains ministres déjà en difficulté", ajoute Phillipe Goulliaud.
Mais à partir du quinquennat de Nicolas Sarkozy, la règle du jeu change : les journalistes doivent rester derrière un cordon, une sorte de barrière infranchissable. Ce sont désormais les ministres qui viennent aux journalistes. "Les ministres ne viennent pas quand ils sont en difficulté mais lorsqu'ils ont quelque chose à vendre. C'est dommage, c’était une bonne façon d’assurer la transparence là aussi", conclut l'ancien journaliste de l'AFP.
Nicolas Sarkozy : la salle de presse s'adapte aux nouvelles technologies
Nicolas Sarkozy arrive au pouvoir en 2007. Au même moment, les chaînes d'informations en continu se développent. La salle de presse est alors entièrement refaite. Elle double de volume, environ 40 m2, et surtout elle s'adapte aux nouvelles technologies. C'est pour cette raison que la présidence décide de transformer la salle de presse à la mi-mandat, précise Franck Louvrier, ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy : "Il était important d’avoir une connexion directe, de meilleure qualité, et plus commode en terme d’utilisation quotidienne pour les chaînes d'information en continu. On y a donc installé la fibre et désormais les chaînes peuvent envoyer directement leurs images depuis la salle de presse."
La salle est aujourd'hui divisée en deux parties. Une première grande pièce en "open space", où tous les journalistes accrédités lors de grands événements à l'Elysée peuvent travailler, et une autre partie pour permettre aux agenciers, les permanents, de travailler de manière plus isolée. Une salle de presse sans fioritures, mais mieux équipée et adaptée au travail des journalistes : "Avant sa rénovation c’était vraiment vétuste avec limite la peinture qui tombait des murs. C'était très simple : une télévision, trois tables, trois chaises et c’était très petit, environ 20m2", se souvient Elizabeth Pineau.
Pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, les rapports avec les médias sont "assez tendus mais assez francs", souligne la présidente de l'Association de la Presse Présidentielle. Son conseiller en communication, Franck Louvrier, lui, est joignable jour et nuit. Il assure que la salle de presse n'a jamais gêné l'Elysée :
Cette salle ne nous a jamais gênés car si nous voulions faire entrer discrètement un invité, il y avait d'autres entrées que la cour d'honneur de l’Elysée. Nous pouvions utiliser la grille du coq et passer de l’autre côté du bâtiment. La cour d’honneur est un lieu de passage, certes, mais c’est aussi un lieu où se déroule les réceptions ainsi que la sortie du conseil des ministres. Il est donc normal que les journalistes accrédités à l’Elysée puissent suivre ça de près.
A partir du quinquennat de Nicolas Sarkozy, le privilège qu'ont les agenciers tous les jours sur place à l'Elysée n'est plus si évident. "Il y a une proximité, on peut faire les choses plus rapidement mais je pense que tous les journalistes sont égaux devant les informations de la Présidence. S'ils veulent une explication de texte par exemple, il peuvent décrocher leur téléphone", explique Elizabeth Pineau. Michel Martin-Rolland, journaliste politique sous François Mitterrand ajoute :
Maintenant, si l’Elysée veut communiquer, ils peuvent se servir d'internet ou des réseaux sociaux. Alors que Mitterrand ne savait pas ce qu’était un téléphone portable. A l’époque, Mitterrand disait : 'les agences donnent le La'. Honnêtement, il y a moins besoin de cette présence physique aujourd'hui mais il doit quand même y avoir une présence. Etre en dehors de l’enceinte du palais est un recul, peut-être plus que symbolique, de la transparence.
Pas de traitement de faveur mais des moments forts sous François Hollande
Sous le quinquennat de François Hollande, la force des réseaux sociaux n'est plus à confirmer mais la salle de presse ne bouge pas pour autant. Elle n'est pas agrandie mais elle n'est pas non plus remise en question. Il faut dire que les journalistes ont à faire à un homme politique bien différent des précédents. "C’est un tout autre style. Un président d’humeur égale qui a été journaliste dans sa jeunesse et qui aime les journalistes. Il aime avoir un débat d’idée, il aime savoir les questions que se posent les Français parce qu’il ne fait pas de différence entre les journalistes et les Français", analyse Elizabeth Pineau.
François Hollande n'octroie donc aucun traitement de faveur aux journalistes en poste permanent, souligne Elizabeth Pineau. "Aujourd'hui, le fait d’être dans l’enceinte de l’Elysée permet aux agences de répondre à toute urgence. Il y en a très souvent à la présidence de la République. Aussi, l’Elysée reçoit beaucoup d’invités qui n’intéressent personne d’autres que les agences, cela nous permet de rendre un récit exhaustif de ce qui se passe dans le palais."
C'est aussi dans cette salle de presse qu'Elizabeth Pineau, aux côtés d'autres journalistes accrédités sous François Hollande à l'Elysée, va vivre les moments les plus forts de sa carrière :
C’est quand même un lieu de très grande émotion : voir ces fenêtres allumées jour et nuit... On sait que c’est un lieu de pouvoir avec des décisions extrêmement importantes qui sont prises et des gens qui ne dorment pas la nuit. L’annonce en salle de presse de l’attentat de Charlie Hebdo a été un moment très fort. Le conseil des ministres se tenait au même moment. A ce moment-là, on regarde par la fenêtre et on sait que derrière les murs de la présidence, ils doivent prendre les bonnes décisions en quelques minutes.
Un souvenir fort, marqué par la réception sur le perron de l'Elysée de tous les dirigeants venus soutenir la France le 11 janvier 2015.
Près de deux ans plus tard, François Hollande annonce qu'il ne se représentera pas à la prochaine élection présidentielle en direct de l'Elysée. Quelques heures plus tôt, Elizabeth Pineau est seule dans la salle de presse. Personne ne sait ce que le Président va décider : "Gaspard Gantzer, le communicant, appelle la salle et dit que le président va intervenir à 20 heures. On fait un urgent sur le fil et lors de son discours François Hollande annonce alors qu’il renonce. C’est une décision inédite."
La présidente de l' Association de la Presse Présidentielle conclut :
L’Elysée, pour la plupart des Français, c’est très abstrait. C’est une espèce d’entité un peu éloignée. Mais quand on est correspondant permanent, on voit des êtres humains comme vous et moi qui se trouvent dans une situation exceptionnelle. La force de ce poste de correspondant à l’Elysée est de voir des hommes et des femmes travailler avec cette responsabilité là et c’est passionnant.