130 morts et 413 blessés... C'était il y a un an : le 13 novembre 2015, une série de fusillades et d'attaques-suicides secouaient Paris. Les hommages citoyens, lettres, poèmes, dessins... déposés dans les cinq lieux des attentats, ont été collectés par les Archives de la Ville et numérisés.

Lettres, poèmes, dessins, citations... Suite aux attentats de Paris, des mémoriaux éphémères constitués de milliers d'hommages citoyens étaient apparus sur les cinq lieux des tueries. En collaboration avec la Ville, les Archives de Paris avaient décidé de les collecter et de les numériser. Nous nous y étions rendus en décembre 2015. Redécouvrez ce reportage.
Le travail de collecte a débuté dès la semaine qui a suivi les attentats de Paris, à partir du 17 novembre, explique Guillaume Nahon, directeur des archives de la Ville . Bougies, peluches, messages très divers... Alors que des milliers d'hommages nationaux et internationaux ont été rendus spontanément sur les lieux des attentats de Paris, une réflexion est née très rapidement sur les moyens de les préserver. Préserver notamment les hommages papiers, malmenés par la pluie.
"L'idée est venue de la Ville, très rapidement. Trois jours après les attentats, la question était déjà posée. On y avait tous pensé un peu, mais on a été aussi sollicités par des chercheurs. C'est une convergence d'idées. Pour Charlie il y avait eu une sorte de sidération. Là, encore une fois, mais je pense que la mémoire de Charlie était très présente...." Guillaume Nahon
Avant les collectes, la Direction des affaires culturelles de la Ville a d'abord dépêché ses photographes pour réaliser des prises de vues des mémoriaux et des hommages, sur les cinq lieux des attentats et la Place de la République : "A ce moment-là, il n'était évidemment pas question de toucher aux mémoriaux ", explique Guillaume Nahon.Puis un premier établissement, La Bonne Bière, a informé la Ville qu'il allait rouvrir : la question du devenir du site s'est alors posée, qui a débouché sur l'intervention conjointe des services de propreté et des Archives de Paris :
Suite à cette intervention à la Bonne Bière, qui a eu lieu le 3 décembre, les archivistes ont couvert tous les sites des attentats en trois semaines.
"Les documents ont été transportés aux Archives de Paris. On les a mis à sécher, puis envoyés chez un prestataire de désinfection parce qu'ils avaient souffert de l'humidité et qu'il y avait donc des risques de dégradation par moisissure." Guillaume Nahon
Aux Archives de Paris, les documents sont restaurés, pour les plus délavés, et classés en fonction des lieux où ils ont été collectés, ainsi que de leurs dates de collecte, et non en fonction de leur typologie : "Ce qui est important c'est de maintenir le contexte… Car les documents ne sont pas datés, ou rarement. "
D'autre part, des registres de condoléances sont encore détenus par les mairies d'arrondissement, et des documents ont été adressés à la Ville. "On a projeté en janvier de lancer une collecte de ces documents-là également. On espère aussi recueillir les dessins, lettres… produits ou reçus par les écoles, mais ça n'aura évidemment aucun caractère obligatoire. " Les Archives reçoivent aussi beaucoup de propositions de dons de documents et photos, de la part de particuliers, qui sont appelés à enrichir le fonds.
L'opération est-elle une première du genre ? A Paris, après les attentats du 7 janvier à Charlie Hebdo, des collectifs de citoyens étaient intervenus pour collecter des messages et prendre des photos. Les mairies d'arrondissements avaient également recueilli quelques hommages. "Mais il n'y avait pas eu de démarche méthodique, institutionnelle, comme celle-là. " Même si la bibliothèque d'Harvard avait commencé, cet été, à recenser des hommages post-Charlie Hebdo. En revanche, à en croire Guillaume Nahon, des archivages de ce type ont déjà eu lieu à New York après le 11 septembre, mais aussi à Madrid, à Londres…
Plusieurs milliers de documents à traiter Etant donné le nombre d'hommages rendus, ce travail, de la collecte à la numérisation (qui prendra plusieurs mois, et pour laquelle un budget sera probablement alloué), est d'une ampleur considérable. Il mobilise une dizaine d'agents des Archives de Paris.
Alors pour quelle raison s'y attaquer ? "C'est une source majeur d'un événement majeur de l'Histoire de Paris, souligne Guillaume Nahon, on est dans l'Histoire immédiate, c'est très récent, mais on est tous conscients du caractère historique et inédit de cet événement. C'est une source très importante, pas tant sur l'histoire de l'événement lui-même, que sur l'histoire de sa réception. "Pour lui, il est même tout à fait vraisemblable qu'on puisse retrouver ces documents, dans quelques années, dans des manuels scolaire. "D'ailleurs, de ce point de vue-là, on va aussi commencer à réfléchir en janvier, avec des chercheurs qui nous ont sollicités, à des programmes de recherche-action qui pourraient notamment déboucher sur des projets d'action éducative"
"On réfléchit à des projets d'action, d'éducation citoyenne, mais également à des expositions, des projets avec des artistes… On aimerait susciter des usages variés de ce corpus." Guillaume Nahon
Dans ce corpus, de nombreux messages adressés par les communautés étrangères, mais aussi des dessins d'enfants et des messages particulièrement touchants ont marqué les archivistes -même s'ils disent tenter de lire le moins possible ces documents, de façon à se préserver.
Le fait d'archiver et de rendre public sur internet des messages intimes en les numérisant, ne pose-t-il pas des questions d'ordre déontologique, voire juridique ? "On a expliqué la démarche. Si jamais quelqu'un nous disait qu'il voulait reprendre son message, on lui redonnerait sans aucune difficulté , précise Guillaume Nahon. Cette personne pourrait aussi demander le retrait de la numérisation, mais je ne pense pas que ça arrivera. Dans la mesure où il est exposé sur l'espace public, on considère qu'il devient public. " Et de raconter que les riverains, et parfois des proches de victimes, les ont interrogés en les voyant travailler, et se sont tous dits satisfaits de cette démarche.
Aujourd'hui, un mois et demi après les attentats, l'idée n'est pas encore de faire complètement disparaître les mémoriaux. Au contraire, ils sont fréquemment réinstallés avec des fleurs fraîches, des bougies non consumées, et les objets non collectés par les Archives, tels que les peluches. Concernant ceux-ci, une réflexion est en cours pour savoir ce qu'il convient d'en faire : "C'est assez délicat... Autant les messages gardent leur sens une fois prélevés, autant les objets perdent un peu de leur sens hors du contexte. Il faut trouver un juste équilibre entre la préservation et la volonté d'éviter le fétichisme morbide aussi. "
Alors qu'un mémorial pérenne sera bientôt inauguré par la Ville, se pose la question de savoir combien de temps va durer cette période de deuil, combien de temps ces hommages citoyens éphémères seront conservés sur la voie publique. Pour Guillaume Nahon, il faut aussi permettre aux riverains de passer à autre chose, de revenir à des modes de circulation normaux : "Il y a des gens qui se plaignent. Des parents qui accompagnent leurs enfants tous les matins à l'école en passant devant le Bataclan… " Même si, de travail de nettoyage en travail de nettoyage, les mémoriaux se réduisent de plus en plus.