Changement d’heure : et si le maître des horloges était européen ?
Et si on arrêtait de changer d'heure ? En France, si le débat s'impose tous les six mois, la question n'a jamais réellement été tranchée. C'était sans compter sur l'Europe. L'Union européenne pourrait finalement s'en charger et abolir le changement d'heure dans tous les Etats membres.

Ce dimanche 28 octobre, à 3h, la France passera à l'heure d'hiver peut-être pour la dernière fois de son histoire. La raison est européenne et le maître des horloges s'appelle Jean-Claude Juncker. Dans une interview accordée à la chaîne de télévision allemande ZDF, le président de la Commission européenne s'est prononcé pour la fin du changement d'heure dans toute l'Union européenne. "Les gens en ont assez de devoir changer leur montre d'heure deux fois l'an", a-t-il indiqué, affirmant que l'institution comptait proposer son abandon aux pays membres.
Ces "gens" dont parle Jean Claude Juncker sont les 4,6 millions de personnes qui ont pris part à la consultation européenne en ligne, lancée à ce sujet au début du mois de juillet.
Des millions d'européens 🇪🇺 ont participé à la consultation publique sur le changement d'heure cet été ⏲️ 84 % des répondants souhaitent qu'il soit supprimé en Europe. La Commission fera prochainement une proposition dans ce sens! ➡️https://t.co/kD3EdYVPIIpic.twitter.com/cy24wgfPnQ
— Commission européenne 🇪🇺 (@UEFrance) August 31, 2018
A l'arrivée, 84% des personnes interrogées se sont prononcées en faveur de l’abolition du changement d'heure.

Le mois dernier, la Commission européenne a déposé une proposition de directive qui doit permettre d'officialiser l'abandon en 2019. Celle-ci doit désormais passer par le Parlement et le Conseil européen qui devront rendre une réponse commune.
Que dit l'Europe ?
En ce qui concerne le Parlement européen, l'abandon est déjà quasiment acté. Dans une résolution du Parlement européen adoptée en février, les députés européens se sont prononcés, à 384 voix contre 153, pour la fin du changement d'heure mais le maintien d'une standardisation à l'échelle européenne. Soit opter pour l'heure d'hiver, soit opter pour l'heure d'été, mais opter partout pour la même heure. L'argument est économique : l'idée est d'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. C'est aussi ce que souhaite la Commission et c'est sans doute sur ce point que cela risque de bloquer.
Il y a peu de chances que les États européens, géographiquement sur 3 fuseaux horaires différents, s’accordent sur l'heure à fixer. Mais quoi qu'il en soit, chacun devra se prononcer avant avril 2019. Dans un tweet, la Commissaire européenne en charge des transports, Violeta Bulc, table sur un abandon du changement d'heure en octobre 2019.
No more seasonal clock changes after October 2019. This ambitious timeline will allow European citizens to reap the benefits without delay. I’m inviting @Europarl_EN & @EUCouncil to start work right away. #clockchange#SOTEUpic.twitter.com/D8te0w6wCL
— Violeta Bulc (@Bulc_EU) September 14, 2018
Que veulent les Etats ?
L'Allemagne, l'Espagne et plusieurs pays du Nord de l'Europe se sont déclarés favorables à la fin du changement d'heure. Dans des lettres adressées à la Commission, la Finlande a demandé que le changement d’heure semestriel soit supprimé et la Lituanie a appelé à une révision du système actuel afin de tenir compte de différences régionales et géographiques. L'Estonie et la Lettonie vont également dans ce sens.
En Belgique, le Mouvement Réformateur (MR) a déposé une résolution à la Chambre sur le sujet, demandant une évaluation du changement d'heure, en espérant à terme s'en passer.
En France, l'avis général semble coïncider avec les résultats de la consultation européenne. En 2016, 77 % des Français jugeaient cette mesure inefficace, selon un sondage réalisé mi-mars par OpinionWay.

C'est Ségolène Royal qui avait relancé le débat, en mars 2015, sans jamais aboutir sur aucune étude, ni débat public.
Changement d'heure.Le ministère va vérifier la justification et rendra publics les résultats pour décider de l'opportunité l'année prochaine
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) March 28, 2015
Mais toujours d'après les résultats de la consultation européenne, tous les avis ne concordent pas. En Grèce et à Chypre, les citoyens en faveur du changement d'heure sont légèrement majoritaires.
A l'arrivée, l'Europe aura tout de même le dernier mot. Pour les États membres qui choisiraient d’adopter l’heure d’été, le dernier changement d’heure aura lieu le 31 mars 2019. Pour les autres, ils passeront à l’heure d’hiver pour la dernière fois le 27 octobre 2019.
Une heure fixe, pour quoi faire ?
Que l'Europe soit aux commandes, n'a rien de surprenant puisque, comme le rappelle le site belge de la RTBF, c'est déjà une directive européenne qui règle le passage de l'heure d'été à l'heure d'hiver. La directive date de 2001. Elle a permis d'uniformiser le fait que tous les États européens changent d'heure le dernier week-end de mars et le dernier week-end d'octobre.
Mais cela n'aura échappé à personne, en réalité, la mesure est en vigueur depuis bien plus longtemps.
Benjamin Franklin l'avait déjà évoquée dans Le Journal de Paris, en 1784. Mais c'est en mars 1917 qu'une loi impose pour la première fois en France l'heure d'été, après une bataille parlementaire. "C’est par millions que se compteront les économies réalisées" clame alors dans Le Matin l'astronome Charles Nordmann. Les Français subiront ensuite une "heure allemande" imposée par les nazis.
Abandonnée en 1945, l'heure d'été réapparaît en 1976, sur fond de crise pétrolière, sur fond d'économie d'énergie. L'idée est alors d’aligner les heures d’activité humaine avec les heures d’ensoleillement pour faire coïncider le jour et la journée. D'autres arguments se sont ensuite ajoutés : la sécurité routière ou encore le commerce transfrontalier. Mais selon un rapport publié en 2017 par le Parlement européen, les économies d'énergie sont en réalité assez faibles : seulement entre 0,5% et 2,5% en Europe selon les pays, d'après les travaux de chercheurs de l'Université Charles de Prague cités par le service de recherche du Parlement européen.
A cela s'ajoute l'argument médical. Les détracteurs du changement d'heure se sont toujours accordés pour pointer du doigt ses conséquences sur la santé. La perturbation de notre rythme de sommeil aurait une incidence sur les risques d'AVC, de diabète ou de crise cardiaque. Interviewée par le Huffington Post, l'eurodéputée Karima Delli (Vert/Alliance Libre Européenne) rappelle également que le changement d'heure augmente le risque d'accidents de la route, lié au manque de sommeil.
Ailleurs en Europe
L'heure d'été se pratique dans 70 pays, comme aux Etats-Unis, à l'exception de certains états locaux, au Canada, à Cuba, en Iran, en Jordanie ou au Maroc. Au Chili, le changement d'heure n'est que partiel. Abrogé en 2015 mais réinstauré l’année suivante, il ne concerne en revanche pas l'extrême sud, la région de Magallanes et de l'Antarctique. 160 000 habitants bénéficient ainsi d'un maximum de luminosité et évitent un trop grand déficit de vitamine D.
En dehors de l'Union européenne, plusieurs pays ont abandonné le changement d'heure après l'avoir expérimenté : la Chine (en 1991), l'Argentine (2009), la Russie (2011), l’Arménie (2012) ou la Namibie (2017). La Turquie a opté pour l'heure d'été en octobre 2016.