Jamais le Louvre n'avait reçu autant de visiteurs. Et il n'est pas le seul. La hausse de fréquentation dans les musées français en 2018 s'explique en partie par la multiplication des initiatives en faveur de la diversification des publics.

L’année 2018 a été marquée par le record historique de fréquentation d’un musée dans le monde : le Louvre, qui a accueilli 10,2 millions de visiteurs. Une hausse partagée par de nombreux monuments, comme le château de Versailles, le Panthéon ou encore la Sainte-Chapelle. Les chiffres de fréquentation de l’année dernière promettent une hausse à l’image de 2017, année de reprise de fréquentation des musées après les attentats terroristes de 2015 et 2016.
Si le retour des touristes explique bien celui dans les musées français, les chiffres de fréquentation de 2018 montrent également que les visiteurs ont été plus nombreux de 6% qu'en 2014, où ils étaient près de 65 millions. Les muséologues Cindy Lebat et Vanessa Ferey analysent cette attractivité par des politiques d'ouverture des musées à des publics divers et des adaptations de l'offre muséale à leur hétérogénéité.
Le musée se réinvente
En 2016, le ministère de la Culture et de la Communication lançait sa mission "Musée du XXIe siècle", pour définir les contours du musée de demain. Une enquête en ligne a permis de recueillir les réponses de 2 000 personnes.
Dans sa synthèse, le rapport proposait une vision du musée renouvelée et, surtout, non statique :
"[Les personnes ayant répondu au questionnaire] seraient disposées à se rendre davantage dans les musées si [...] les codes de la visite étaient effectivement modifiés, faisant une place au débat et au participatif. [...] Quant à la jeune génération, elle se montre la plus ouverte à une vision collaborative de la vie du musée."
“Citoyen", "participatif", "forum"
Cette adaptation du musée français à son public est le centre de la réflexion de Cindy Lebat. Docteure en muséologie, spécialisée dans l'accessibilité des personnes en situation de handicap dans les musées, Cindy Lebat étudie cette ouverture à de nouveaux publics - "publics" au sens large et au pluriel, puisqu'il n'existe pas un seul public homogène.
En conclusion de ses travaux, Cindy Lebat remarque l'évolution en un musée "citoyen", "participatif", "forum".
Jusqu'au début du XXIe siècle, les expositions des musées abordent le public dans une relation ascendante. Ainsi que la muséologue le théorise, certains musées deviendraient lieux de vie, dans une approche de plus en plus horizontale entre conservateurs de musées et publics.
L'apparition de dispositifs d’accueil et de médiation culturelle nouveaux, plus élaborés et plus spécifiques, permet aux citoyens de s’impliquer, de créer leur propre expérience dans le musée. C’est le cas par exemple avec les fab-lab, des laboratoires de fabrication qui permettent de créer des objets. Ils s’invitent, éphémères ou non, dans l'enceinte d’espaces muséaux, comme à la Cité des sciences ou au musée d'Orsay, et s’offrent aux mains des visiteurs, qui peuvent créer à leur tour dans un lieu d’exposition.
La "conception universelle"
L'adaptation du musée à ses publics, notamment les personnes en situation de handicap, est devenue une évolution nécessaire suite à la loi du 11 février 2005 “pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées”. Cette adaptation lui permet de se transformer et de s'enrichir, notamment par la mise en place de dispositifs adaptés aux visiteurs déficients visuels.

Les dispositifs de médiation culturelle qui s’adressent aux personnes en situation de handicap visuel permettent d'appréhender une oeuvre d’art autrement que par la vue, amenant à repenser les hiérarchies visuelles.
L'idée, c'est de s'adresser aux différents sens, donc d'apporter des nouvelles modalités d'expérience dans le musée. Cindy Lebat
En outre, ces nouvelles formes profitent en réalité à tous les visiteurs. C'est la notion de conception universelle défendue par Cindy Lebat. Ainsi, le musée de Valence, a développé une “table multisensorielle” pour illustrer deux natures mortes du peintre italien Paolo Porpora, Fleurs et sculptures et Fleurs et fruits. Les deux tableaux sont reproduits sur la table avec un texte en braille et des éléments du tableau en relief à toucher. Un parfum d’ambiance de la salle, créé spécialement par un parfumeur, et quatre jeux d’odeur retracent olfactivement les fruits et fleurs du tableau. Enfin, une expérience sonore mêle une musique contemporaine jouée par des instruments du XVIIe siècle, date de création du tableau, avec des bruitages d’orage et d’eau, présents eux aussi dans le tableau.

Un ancrage dans le monde contemporain
Pour la muséologue Vanessa Ferey, le musée, parce que “l'on y retrouve nos valeurs communes”, s’inscrit de plus en plus dans le monde contemporain. La docteure en muséologie, médiation et patrimoine rappelle que dans le rapport “Terrorisme : faire face” remis à la ministre de la Justice, il est proposé de “mettre en musée la mémoire récente du terrorisme”, en édifiant un “Musée-mémorial aux sociétés à l’épreuve du terrorisme” dans l’ancien Palais de justice, sur l’île de la Cité, à Paris. La muséologue Vanessa Ferey conçoit le musée comme un fédérateur social. Suite notamment aux attentats terroristes, le musée devient lieu de commémoration, de rassemblement et non plus un simple lieu de "délectation".
Le public se tourne vers le musée comme un instrument qui permet de faire avancer la société. On va au musée pour se découvrir, comprendre son passé, appréhender l’avenir, essayer de se mesurer à soi-même par rapport aux exemples du passé et à ce qu’on pourrait faire à l’avenir. Vanessa Ferey
Il est également un lieu d’engagement, “porteur de crise sociale”, selon Vanessa Ferey. Le pillage de l’Arc de Triomphe par quelques individus lors d’une manifestation des "gilets jaunes", le 1er décembre 2018, montre que les “démolisseurs” veulent toucher des symboles de la République mais aussi de pouvoir. La destruction de lieux de mémoire, phénomène qui n’est certes historiquement pas nouveau, ancre le musée dans son temps.
