Culture | Alors que les soulèvements populaires deviennent habituellement source d'inspiration ou de soutien des artistes, ceux-ci restent plutôt à l'écart du mouvement des "gilets jaunes". Pourquoi ce fossé et comment le combler ?
S'il y a bien eu quelques chansons dédiées aux "gilets jaunes", rares sont les artistes à s'être emparés des problématiques soulevées par ce mouvement ou à avoir affiché leur soutien. D'où vient donc de fossé entre la culture et les revendications des classes moyennes et populaires ? Comment rendre la culture plus accessible à ces classes sociales ?
Pour Marie-José Malis, directrice du Théâtre de la Commune à Aubervilliers et metteuse en scène, c'est avant tout aux acteurs de la culture d'écouter ce que les classes populaires ont à dire.
S'adapter à un pays différent
Marie-José Malis : "Il y a d’une part un accès à la culture qui est couvert principalement par l‘intermédiaire du travail que nous menons avec les publics scolaires, mais il y a aussi le fait que le pays a changé. En fait, on peut constater que les équipements culturels sont absents dans les zones rurales et dans les zones périurbaines. Cette mutation est relativement récente : on a eu le sentiment dans les années 1980-1990 que la couverture du territoire était assurée, et puis aujourd’hui on peut se rendre compte qu’il y a, de nouveau, une espèce de manque d’équipements, des endroits où les artistes ne sont pas présents. Évidemment, il y a aussi la paupérisation des classes moyennes qui fait que les gens vont moins au théâtre parce que, comme le révèle la crise des “gilets jaunes”, les premières nécessités ne sont pas couvertes donc la culture devient une pratique secondaire."
De l'utilité de la culture
"Il faudrait relancer une politique d’implantation des artistes au plus près des populations dans ces zones rurales, ces zones pavillonnaires, ces zones où habite une classe moyenne qui redoute le déclassement pour elle-même et pour ses enfants. Ensuite, je pense qu’il faut que nous travaillions avec les pouvoirs publics, les élus territoriaux et le ministère à redéfinir ce que l’on pourrait appeler une "éducation populaire". Ce n’est pas seulement la consommation de spectacles qui doit être satisfaite, c’est aussi tout le travail fondamental que permet la culture au sens où un artiste, un intellectuel ça fait quoi ? En fait, ça autorise le désir des gens, ça permet de libérer l’expression du désir, ça donne des méthodes pour le mettre en forme, ça aide les gens à être sujets de leur propre discours, de leur propre désir. C’est ce besoin-là qui est aujourd’hui le plus en souffrance. Je pense que la plupart des habitants, vous-même, moi-même, sentons que nos enfants n’ont plus les mêmes outils en main pour avoir la maîtrise du langage, la maîtrise du discours. Nos enfants n’ont plus la certitude que ce qu’ils vont apprendre à l‘école ou en fréquentant l‘art va leur permettre de mieux vivre. Il faut que par la culture nous redevenions sujet de notre discours et plus à même d’envisager comment mettre en œuvre notre pouvoir d’agir."
"Écouter d'abord"
"Je crois que notre travail c’est maintenant en effet de mieux connaître la réalité des situations vécues par les gens, en un sens nous aussi nous sommes en défaut de réel. Je crois qu’aujourd’hui, pour parler au cœur des gens et pour qu’ils aient le sentiment qu’ils sont pris au sérieux par les œuvres d’art, nous devons tous nous rencontrer, faire un travail sérieux d'enquête, de connaissance de ce que vit l’autre et de ce qu’il pense. C’est à mon avis ça la nouvelle destination de l’art. Il ne s’agit pas de s’adresser différemment aux gens, il s’agit de les écouter d’abord.