Les deux confinements, en particulier le premier où tout s’est arrêté, ont-ils permis de s'interroger sur notre garde-robe ? Consommation responsable, retour aux circuits courts, ralentissement de la surconsommation, plusieurs tendances - déjà bien développées - ont trouvé matière à se renforcer.
Ce vendredi de Black Friday / Green Friday si particulier marquera-t-il un tournant dans notre rapport à l'habillement, après déjà deux confinements ? Pour lutter contre la surconsommation, des collectifs, associations, et entreprises sensibilisent un grand public qui semble de plus attentif à ces questions économico environnementales. Avant même le début de la pandémie, fin octobre 2019, près de 2 Français sur 3 (65%) interrogés* affirmaient que "l’engagement des marques et des entreprises en matière de développement durable constitue un critère de choix important au moment de leurs achats mode/habillement".
L'exemple du Slip Français
Quatre lettres souvent ajustées, plus ou moins échancrées, qui nous collent à la peau, et ici, bordées, de bleu, blanc, et de rouge : le Slip Français. L’entreprise, connue notamment pour ses caleçons en ligne, fabrique 100% français " jusqu'à la boîte de livraison à l’exception de la matière première le coton, qui, aujourd’hui, ne pousse pas en France" explique son fondateur Guillaume Gibault.
Tout a commencé lors d'une visite dans une usine en Dordogne. "Arriver à fabriquer un produit plus cher, le vendre directement en ligne et essayer d'être quand même le plus compétitif possible, même si on sait que le coût du travail en France est forcément plus élevé qu'ailleurs. En fait, pour nous, ça a été le point de départ de la boîte" raconte-t-il. Le principal frein à la consommation locale reste souvent le prix.
Réfléchissons par multiples. Nous vendons un slip entre 30 et 35 euros. A l'usine, il va nous coûter une dizaine d'euros en fabrication française. La marge entre le prix de l'usine et le prix client est de 3 à 4 fois plus. L'industrie de la mode et du textile travaille sur des multiples entre 7 et 10, c'est-à-dire qu'un produit qui va sortir à 10 euros d'une usine chinoise ou ailleurs dans le monde, va être vendu entre 70 et 90 euros. Voilà comment le prêt-à-porter fonctionne. On fabrique très loin, très peu cher, on fait des gros coefficients. Et puis, si on se trompe un peu dans les quantités de vêtements qu'on a fait venir par deux containers ou trois, l'entreprise, pour écouler les stocks, fait une remise à -70% le jour du Black Friday. Guillaume Gibault
Cette société née il y a dix ans et dont l'usine principale se situe à Saint-André-lez-Lille ne participe pas au Black Friday. Mais elle assure reverser les bénéfices de la journée à une association qui tente de créer une nouvelle fibre : "un coton local, un coton recyclé à partir de vieux vêtements" précise-t-il. "La culture du lin, moins gourmande en eau, est une solution, comme la laine, même si c’est moins adapté pour un sous-vêtement" reconnait l’entrepreneur.
Produire, consommer 100% français ?
"Des produits de mode 100% français ? Oui, mais à quel niveau ? A quel prix ? Quel type de produits ? Produire local pour consommer local est moins facile à faire pour les vêtements" tempère Nathalie Ruelle, professeure à l'Institut français de la mode. Selon cette spécialiste des politiques industrielles, il s'agit d' "un produit transformé, bien plus complexe que les fraises, les asperges ou les potimarrons français".
La crise sanitaire a mis en lumière la volonté d'un monde plus écologique, un ralentissement de la surconsommation, et une industrie vestimentaire (encore) plus éthique. Mais ces tendances "ne représentent pas la garde-robe complète d’une personne en France". Des chaussettes Labonal, un slip français et un jean qui ne parcourt que 1 083 kilomètres "restent marginaux" dans nos penderies, contrairement aux vêtements issus de la "fast-fashion".
Il ne suffit pas de changer un logo et de le peindre en vert ou de dire je reverse 1% de mon chiffre d'affaires à une fondation qui va faire en sorte que ces entreprises vont être plus éco-responsables. Le principal actif d'une entreprise, c'est sa réputation - qui peut vite être entachée par son immobilisme. Les consommateurs sont avant tout leurs collaborateurs. Et c'est en faisant pression sur les entreprises que les choses bougent et vont bouger. Nathalie Lebas-Vautier
Schizophrénie du consommateur
La crise sanitaire accentue le clivage entre deux manières de consommer : consommer pour combler un vide tout en consommant moins et mieux. "L'acheteur a soif de transparence, et de traçabilité.", assure Nathalie Ruelle, notamment sur l’origine des vêtements qu’il porte. C’est ainsi, selon elle, que le consommateur se responsabilise en interrogeant ses pratiques.
Etre éco-responsable a autant de déclinaisons qu’il existe de personnes. Privilégier une entreprise qui reverse une partie de ses bénéfices à une association pour apprendre aux femmes ou hommes en prison à coudre. Mais aussi entretenir davantage son produit en le lavant moins, revendre un vêtement, moins acheter de manière compulsive, et donc moins gaspiller. Ou encore choisir des labels comme France Terre Textile ou Origine France Garantie.
Nathalie Ruelle
"Et consommer un produit de seconde main" complète Nathalie Lebas-Vautier, fondatrice de Good Fabric - qui propose d’ajuster le modèle économique des entreprises vers des produits plus respectueux de l’environnement et des droits humains. Puisque en 2019, 40% des consommateurs ont acheté un produit de mode de seconde main, "un marché qui a triplé depuis 2010" souligne-t-elle, notamment boosté, pendant le confinement, par les ventes en ligne et qui redorent l’image surannée de la friperie.
* Etude Ipsos / C&A