Handicap intellectuel : "Nous sommes dans une phase d'acceptation. Peut-être qu'un petit bout de tabou est tombé."
Entretien | Du jamais vu ce mardi soir sur une grande chaîne de télévision : Mélanie Ségard, atteinte de trisomie 21, présentera la météo de France 2. Un rêve encouragé par l'Unapei, l'association qui regroupe les associations de personnes handicapées mentales et leurs familles. Entretien avec son président.

Mélanie Ségard va réaliser son rêve ce soir : présenter la météo à la télévision, sur France 2. Du jamais vu à une telle heure. Cette jeune femme trisomique de 21 ans a été aidée par Nathalie Rihouet, directrice du service météo de France Télévisions, et Chloé Nabédian, présentatrice météo sur la chaîne depuis septembre. En France, la trisomie 21, principale cause génétique de déficit mental, est une anomalie chromosomique qui concerne 65.000 personnes. L’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis) et l’agence de communication Gloryparis sont à l’origine de ce projet plébiscité sur les réseaux sociaux. Entretien avec Luc Gateau, le président de l'Unapei.
Comment est né ce projet ?
Cela s'est fait le plus naturellement possible. Mélanie est une jeune femme que nous connaissions déjà depuis quelques temps et nous avions pu échanger sur ce qu'elle est et ce qu'elle vit. Nous avions pu voir, y compris avec ses parents, qu'elle aimait bien la météo. Et dans la recherche que nous avons eu en fin d'année pour nous demander comment nous pourrions montrer une société plus inclusive, plus solidaire, notre agence de communication nous a indiqué qu'il y avait une idée intéressante, c'était de présenter la météo.
Pourquoi présenter la météo ?
C'est quelque chose qui paraît très très lointain mais qui intéresse beaucoup, beaucoup de personnes, quelque soit leur rang dans la société. On s'intéresse tous à la météo. Et de là, nous avons enclenché un appel via les réseaux, parce que nous n'avons pas beaucoup de moyens et que nous nous sommes dits peut-être que cela peut intéresser les réseaux sociaux. On a eu un engouement fantastique qui nous permet de prouver aujourd'hui qu'une personne handicapée, effectivement, peut avoir un rêve et qu'il peut être intégré dans la société.
C’est un grand jour pour moi, j’ai besoin de vos encouragements. Aujourd’hui, 20h35 sur @France2tv#melaniepeutlefaire@ellepeutlefairepic.twitter.com/96G5VH25si
— Mélanie (@ellepeutlefaire) March 14, 2017
Vous n'y voyez pas de la communication de la part de France 2 ou d'un autre média qui aurait pu accepter ?
Il y a toujours j'imagine un effet de communication. Mais j'ai rencontré des personnes très sincères et qui ont pris du temps. Du temps, je pense que dans un certain nombre de médias il en manque ! Et là, ce temps était donné gratuitement pour mettre Mélanie dans les meilleures conditions. Cette gratuité me fait dire que l'on a pas que l'objectif d'être efficace, de communiquer.
Mais cela ne cache pas un vide, une absence par ailleurs ?
Sans doute. Est-ce que dans les médias suffisamment de personnes avec handicap intellectuel sont présentes ? La question est posée. Ce que l'on veut surtout montrer, démontrer pour Mélanie, et ces personnes, puisque nous accompagnons au sein de l'Unapei 200 000 personnes, c'est que les choses avancent avec un accompagnement et une société qui veut bien intégrer, se modifier. Cela va être le cas dans l'éducation, le travail, le logement, tout ce qui fait la vie. Et le meilleur exemple que l'on peut avoir est quand des enfants côtoient dans leur école ordinaire des personnes avec handicap. Ils prennent en compte, ils intègrent. Je crois que c'est l'image la plus belle qui peut être transcrite pour l'ensemble de la société.
Et les médias sont à la hauteur aujourd'hui ?
Je ne sais pas s'ils le sont complètement, mais je suis relativement contre le fait de forcer la main. Je préfère une adhésion naturelle. Peut-être que l'on a besoin de voir davantage les personnes porteuses de handicap, quel qu'il soit. Mélanie est une belle jeune femme, mais il y a des handicaps beaucoup plus lourds. C'est vrai que le pourcentage de handicaps est peut-être pas très important en nombre, mais il fait partie de la vie. Après, pour Mélanie, France 2 et BFMtv ont très vite accepté, et je crois que l'on méconnaît cette sensibilité dans les médias. J'ai rencontré plein de personnes, en radio, télévision ou presse écrite, extrêmement attentives à cela.
Vous souhaiteriez des rendez-vous réguliers sur les antennes ?
Oui, c'est important que ces personnes aient la parole. Au travers des élections par exemple. Je crois qu'elles auraient des choses à dire, ne serait-ce que pour comprendre. Nous insistons, à l'Unapei, sur le facile à lire et à comprendre. Nous avons demandé à l'ensemble des candidats à la présidentielle, et cela sera aussi le cas pour les législatives, de traduire leurs programmes en facile à lire et à comprendre. Parce que ce sont des citoyens comme les autres qui doivent avoir la possibilité de choisir telle ou telle personne. Avec aussi le jour du vote la possibilité de les aider.
La société vous a paru aussi plus ouverte à ces questions ?
Oui, il existe déjà des évolutions que l'on observe à travers un certain nombre de films. On sent que le regard se modifie. Au travers de la réponse sur les réseaux concernant le rêve de Mélanie (200 000 j'aime sur Facebook en 10 jours !), on a eu de très grandes sensibilités. Des personnes pour dire : "oui, on veut bien qu'elle soit à la télévision, qu'elle ait droit à sa chance."
Un tabou tombe avec l'histoire de Mélanie ?
Je ne sais pas s'il faut l'appeler tabou. Je pense plus à un regard. J'ai réalisé que la société avait cette capacité de regarder autrement. Les personnes qui ont dit j'aime (sur les réseaux) ont vraiment traduit, oui, une phase d'acceptation. Peut-être qu'un petit bout de tabou est tombé. Mais comme il en tombe de plus en plus : comme ces jeunes enfants qui sont à l'école et se croisent dans la rue avec d'autres sans différence. L'enfant dit à sa maman : "tiens, c'est Paul qui est avec moi à l'école." Il ne change pas de trottoir, au contraire.
Par ailleurs, à l'initiative du nageur Philippe Croizon, des personnalités comme le chanteur Grand Corps Malade ou Dominique Farrugia viennent de s'adresser dans une lettre ouverte aux candidats à la présidence. Avec un seul message : il est inconcevable que les candidats ne s'adressent pas plus aux 12 millions de Français atteints par un handicap et à leur famille. Récit de Mathilde Dehimi :
