Singapour est une nouvelle fois parmi les pays en tête du classement PISA, établi tous les 3 ans par l’OCDE pour mesurer les performances des élèves. La méthode singapourienne d’enseignement en maths est plébiscitée dans de nombreux pays. Elle s’inspire en fait de nombreuses théories existantes.
Singapour s’affiche à nouveau parmi les pays les mieux classés de l’étude PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves), dans le classement 2019 révélé ce mardi par l'OCDE. Un succès que le pays doit à sa méthode mise en place dans les années 1980 pour rattraper son niveau en mathématiques. Pour cela, des experts ont compilé différentes méthodes existant à travers le monde. Aujourd’hui, de nombreux pays s’en inspirent, dont la France, pour tenter d’améliorer leur niveau. Pourtant, à Singapour règne également une importante course à l'excellence chez les écoliers, synonyme de forte anxiété.
Une méthode inspirée par d’autres
À la fin des années 1970, le niveau d’alphabétisation est faible à Singapour. Pour y remédier, le Premier ministre de l’époque décide de lancer un nouveau système éducatif. L’accent est mis en particulier sur les mathématiques, le gouvernement considérant que "la politique éducative doit rester en phase avec l’économie et la société" d’après Berinderjeet Kaur, de l’Institut national d’éducation de Singapour dans son étude (en anglais) "Évolution du programme scolaire de mathématiques à Singapour".
Le pays avait pour ambition de devenir un leader dans le monde technologique et de permettre à ses citoyens d’être capables de répondre aux défis de l’avenir. Un groupe d’experts a alors été chargé de mettre au point de nouveaux programmes scolaires, qui reposaient jusqu’alors essentiellement sur des manuels scolaires des pays occidentaux. Pendant cinq ans, l’équipe travaille sur ces nouveaux programmes qui seront testés et réajustés au cours des quinze années suivantes, comme l’explique dans cette vidéo Jean Nemo, fondateur des éditions La Librairie des Écoles, qui commercialisent des manuels en français adaptés de la méthode de Singapour.
Performances des élèves en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences dans 79 pays et économies ⬇ https://t.co/yxx9nzP35R#OECDPISA 2018 #SDG4pic.twitter.com/dMXIbfYm9q
— OECD Education (@OECDEduSkills) December 3, 2019
Pendant cinq ans, [une équipe de didacticiens en mathématiques] planche sur tout ce qui marche en didactique des mathématiques et ils conçoivent une méthode qui va du premier jour du CP au dernier jour de 6e. Mais cela ne suffit pas. Il faut encore 15 ans de mise en pratique, de formation initiale et continue des professeurs, de retour de terrain, d’améliorations, de corrections pour faire en sorte qu’en 1995, Singapour arrive pour la première fois première du monde dans l’étude TIMSS qui est une comparaison internationale des systèmes éducatifs en mathématiques. Cela montre que les Singapouriens n’ont pas toujours été bons en mathématiques, ils le sont devenus grâce à cette méthode.
Jean Nemo, fondateur des éditions La Librairie des Écoles
La méthode de Singapour repose essentiellement sur l’apprentissage des mathématiques par des exemples concrets avant de passer à l’abstrait.
Cependant, comme le précisent les mathématiciens Cédric Villani et Charles Torossian dans leur rapport de février 2018 pour améliorer l’enseignement en mathématiques, "la méthode employée à Singapour n’est pas une ‘méthode de Singapour’ dans le sens où elle aurait été inventée à Singapour ex nihilo : c’est une synthèse de pratiques didactiques et pédagogiques efficaces, reposant sur les travaux de nombreux chercheurs ou s’inspirant de textes plus anciens".
Parmi les théoriciens qui ont inspiré le groupe d’experts chargé d’élaborer les programmes de Singapour figurent divers psychologues, pédagogues ou mathématiciens : Jérôme Bruner, Jean Piaget, Lev Vygotsky, Benjamin Bloom, Maria Montessori, George Polya, Richard Skemp ou encore Zoltan Dienes. Jérôme Bruner est l’un des fondateurs de la psychologie cognitive. D'après la professeure Britt-Mari Barth, autrice de divers travaux sur le psychologue américain, "Bruner considère l’enfant qui apprend comme un chercheur (…). Il n’apprend pas des faits par cœur mais essaye de voir les relations entre elles. 'L’activité intellectuelle est la même partout, qu’il s’agisse d’un chercheur ou d’un élève de CE1. (…) La différence est de degré et non pas de nature'." Apprendre tout en faisant est l’un des piliers de la méthode de Singapour. Mondialement connue, la pédagogie Montessori repose sur le principe d’accompagnement au développement de l’enfant, vu comme un être autonome et non une éducation qui reposerait uniquement sur une transmission des savoirs.
60 pays ont adopté la méthode de Singapour
Dans leur rapport, le député La République en marche Cédric Villani et l’inspecteur général de l’Éducation nationale Charles Torossian préconisent la méthode de Singapour pour l’enseignement des mathématiques en France. Singapour étant passée en une génération "d’économie du tiers-monde à un des plus hauts niveaux de prospérité. La plupart des indicateurs montrent que ses élèves sont excellents dans toutes les disciplines".
Aujourd’hui, une soixantaine de pays utilisent cette méthode. Au Royaume-Uni, il a été décidé en 2016 que la moitié des écoles publiques appliquerait ce système pédagogique.
"En 1997, Singapour a adopté comme devise : Thinking schools, learning nation, explique Monica Neagoy, consultante en mathématiques et autrice de divers manuels scolaires sur la méthode de Singapour. Si nous enseignons à nos enfants comment réfléchir, comment penser par eux-mêmes, comment être autonomes de leur apprentissage, alors nous aurons un pays qui apprend." Celle qui forme également les enseignants à cette méthode estime qu’elle peut tout à fait être adaptée en France et dans toutes les matières.
Pour beaucoup d’élèves, l’histoire est une suite de dates à mémoriser. Mais si l’histoire devient une étude de régularité, de choses qui se répètent, de grands mouvements, comme les grandes idées en mathématiques, alors on l’enseigne avec plus de sens. Les élèves prennent du plaisir et on développe leur curiosité et leur avidité de découvrir. C’est cela qui manque ! L’enfant doit être plus actif, plus participatif, plus engagé et trouver sa joie dans la compréhension, pas seulement dans une bonne note. Les enfants adorent faire le lien entre les choses et ne pas voir les mathématiques comme une série de chose à apprendre par cœur, sans sens.
Monica Neagoy, formatrice sur la méthode de Singapour
Singapour et l’enseignement très compétitif
Si la méthode d’enseignement est plébiscitée par de nombreux pays, la réussite des écoliers singapouriens tient aussi à un système éducatif extrêmement compétitif. Comme le souligne cet article du Courrier international, en 2016, 80% des élèves du primaire suivaient des cours de soutien scolaire, à raison de trois heures minimum par semaine. Le marché du soutien scolaire a quasiment doublé en dix ans et pesait en 2016 près de 730 millions d’euros (plus d’un milliard de dollars singapourien). L’État consacre en outre 20% de son budget au système éducatif.
Dans le documentaire "Demain l’école" diffusé sur Arte en septembre 2018, le professeur à l’université nationale de Singapour Kenneth Paul Tan explique que le système singapourien est ultra compétitif et "crée le sentiment qu’il faut absolument réussir dans une société qui devient impitoyable".
Cette course à l’excellence a un prix : les taux d’anxiété sont supérieurs à la moyenne et dès l’école primaire, les enfants sont victimes d’un important stress. Dès la sortie de l’école primaire, les élèves doivent passer un examen qui leur permettra ou non d’accéder aux meilleures écoles secondaires. En juillet dernier, le ministre de l’Éducation Ong Ye a annoncé la suppression de certains examens et la modification du cursus scolaire considéré comme trop rigide. "Nous devons équilibrer la joie de l’apprentissage et la rigueur de l’éducation", a déclaré le ministre singapourien. Une pression qui pèse sur les plus jeunes à tel point d'entraîner certains vers le suicide. En 2016, un enfant de 11 ans s’est suicidé, juste avant d’annoncer ses résultats d’examen à ses parents, il avait échoué dans deux matières.