__ > Avignon 2011 : le dossier | les chroniques quotidiennes
Réécoutez la chronique de Joëlle Gayot
"Cesena" de Anne Teresa De Keersmaeker. "Cesena" de Anne Teresa De Keersmaeker. ©Anne Van Aerschot
A Avignon, le spectacle ne cesse jamais. Il se prolonge tard dans la nuit mais il peut aussi commencer très tôt matin. C’est comme ça qu’à aube, dès 5 heures du matin, 2000 spectateurs se pressaient dans la Cour d’honneur du palais des papes pour assister à une chorégraphie de la flamande Anne Teresa de Keersmaker.
Le jour n’est pas encore levé sur Avignon. Dans la Cour d’honneur plongée dans la pénombre, certains s’enroulent dans des couvertures bleues. On entendrait une mouche voler. La ville dort encore et c’est à peine si on a croisé sur la route quelques fêtards qui rentraient se coucher. On vient voir « Cesena », de la chorégraphe Anne Teresa de Keersmaker. L’année dernière, à Avignon, Keersmaker avait convoqué le public pour un spectacle intitulé « En atendant » et qui se déroulait au crépuscule mourant. Cette fois ci, elle inverse le processus et fait de nous les premiers témoins du soleil naissant. Un moment de théâtre et une expérience à vivre. Sur le plateau, on distingue à peine les ombres de danseurs qui se confondent avec l’obscurité. On les écoute surtout, on perçoit la course de leur pas, leur souffle haletant, leur respiration. C’est un peu comme si des murs de l’antique palais d’Avignon surgissaient des spectres qui auraient habité là de toute éternité et nous feraient l’honneur de leur visite.
Vers 6 heures du matin, un vent léger et frais saisit les corps. Premiers bruits de la ville au dehors. Premiers cris d’oiseaux. Premiers vols de martinet au dessus de nos têtes. Les silhouettes se précisent sur le plateau. Peu à peu la lumière gagne nous arrachant définitivement à la nuit. Les danseurs dansent encore mais ils chantent aussi. Des chants à capella que porte l’ensemble « Graindelavoix », c’est son nom. Un groupe anversois passionné de musique ancienne qui fait résonner de sublimes airs du 14ème siècle, entre prières et invocations. Keersmaker projette sur le plateau une vingtaine d’interprètes qui brouillent le tracé d’un vaste cercle inscrit au sol par un sable qui crisse sous les mouvements. Peut-être un soleil qui se défait ou une lune qui s’efface ? Tous les rêves sont permis devant cette chorégraphie épurée, tantôt lente et lascive, tantôt joyeuse et rapide. A 7 heures du matin, le ciel est bleu. Les danseurs épuisés et les spectateurs, eux, sont heureux.
« Cesena » : Anne Teresa Keersmaker / Compagnie Rosas : Cour d’honneur du palais des Papes. Jusqu’au 19 juillet