Mais c’est quoi ce bastringue ?! Il n’a pas sa langue dans sa poche, Eugène Durif. Avec un nom qu’on dirait de plume, et une langue qui slangue, qui swingue, il a la grivoiserie agile : un trouvère rabelaisien. Il est accompagné de son acolyte cymbaléen Pierre-Jules Billon, homme-orchestre collectionneur de gargantuesques délires, l’épaule dans sa quête charivaresque et calembourdée, avec le bruit et l’humeur de ses tambours. N’allez pas vous débiner, bande de frapparts écorniflés, et filez droit vous ébaubir des trésors du françois.
Eugène Durif Eugène Durif © Karell Prugnaud
Ousqu’est le haut, ousqu’est le bas dans c’te l’histoire-là ? Cherchez pas. Nos deux saltimbanques font l’un le coq, l’autre l’âne, tous deux pitres populo-poétiques. Ils dévident leur sac à mots avec une aisance qui déride, retrouvent la langue qui onomatope, calembourde et acoquine gaiement les idées. Aussi, soyez prévenus, gardez en tête le mot de Rabelais : « Ci n’entrez pas, hypocrites, bigots, vieux matagots, souffreteux bien enflés, torcols […] porteurs de haires, cagots, cafards empantouflés » !
L’accueil à la Durif, c’est une dégelée de mots bazardée à la face des « gueux emmitouflés ». Dans son théâtre de troubadour, fait d’un petit chapiteau-coulisse et d’accessoires saltimbantesques – des instruments, une caisse et la dive bouteille car « propos de bien ivre sont propos de bien vivre » –, il exhume moult fatrasies délicieuses et chansonnettes tristes, même un blason de Clément Maraud sur le téton. Non content d’être l’une des plumes de théâtre les plus riches, élégantes, et imagées, M. Eugène est aussi l’un des plus aimables lettrés. Son sourire et sa douceur ravissent. Air bonhomme émerveillé, pour qui la bonne chair n’est pas triste, notre troubadour est de ces humoristes noirs tendance pince-sans-rire, à penser que « ceux qui ont un pied dans la tombe ont toujours l’autre pour s’en sortir ». Spectacle sans une once de vulgarité, mais émaillé de joyeusetés d’amour et de mort, sans queue ni tête.
Au cœur des joyeusetés d’amour, une mignonnette devinette : *anarchiste tchécoslovaque* ? On remue méninges et grise matière… la langue tournicote dans la bouche, on la donne au chat : *amoureux* . Pourquoi donc ? Car amour est enfant de bohème et n’a jamais connu de lois… On enchaînera rapidement avec une *Berceuse pour un pas-de-chance* , « la rate qui se dilate » dévidée sans accroc aucun par Eugène, en verve, puis un morceau de bravoure d’Alphonse Allais : « Fallait-il que je vous aimasse / Que vous me désespérassiez / Et qu’en vain je m’opiniâtrasse / Et que je vous idolâtrasse / Pour que vous m’assassinassiez ! ». À ne pas mettre entre toutes les mains, soit, mais si doux à entendre. Pierre-Jules Billon et Eugène Durif ravissent notre sympathie. Ces gens de goût, dans leur costume de Monsieur Loyal élimé, mettent les mots comme d’autres les formes, ils en sont amoureux comme d’autres des femmes. Fous de passion, à s’en énamouracher, à circumbilivaginer autour du pot… aux mots, à s’en faire trotter le virolet. Quel doux bastringue. **¶**
**Cédric Enjalbert**
**Les Trois Coups**
[www.lestroiscoups.com](http://www.lestroiscoups.com/)
***C’est la faute à Rabelais. Théâtre musical et burlesque* , d’Eugène Durif**
Compagnie L’Envers du décor • 31, avenue Jean-Jaurès • 19100 Brive
[www.cie-enversdudecor.com](http://www.cie-enversdudecor.com/)
Mise en scène : Jean-Louis Hourdin
Avec : Eugène Durif et Pierre-Jules Billon
Musique : Pierre-Jules Billon
Costumes : Nina Benslimane
Lumières : Fabien Leforgeais
Théâtre des Halles • rue du Roi-René • 84000 Avignon
Du 8 au 29 juillet 2011, à 14 h 30, relâche le 17 juillet 2011
Réservations : 04 32 76 24 51
[http://www.theatredeshalles.com/](http://www.theatredeshalles.com/)
Durée : 1 h 15
Prix des places : 22 € | 15 €