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Réécoutez la chronique de Joëlle Gayot
"Enfant", de Boris Charmatz "Enfant", de Boris Charmatz © Boris Brussey
Hier, la Cour d’honneur a ouvert ses portes. A 22 heures, Boris Charmatz, artiste associé de la 65ème édition, propulsait une trentaine de tous petits enfants sur le plateau dans un spectacle intitulée « Enfants ». Un spectacle d’ailleurs très bien accueilli mais qui s’était ouvert par quelques huées... C’est Avignon et c’est pour ça qu’on aime ce festival ! Il y a eu un peu de chahut, rien de méchant, c’était même plutôt chaleureux, avant le début de la représentation. Frédéric Mitterrand était présent dans la salle et il a, comme tous les spectateurs, entendu un texte lu par le comédien David Lescot, texte écrit au nom des organisations professionnelles de salariés et d’employeurs du spectacle vivant et des arts visuels. Un texte, comme vous vous en doutez, offensif, inquiet, et qui se terminait par ses mots « nous voulons rêver encore ». Ovation du public puis sifflets à l’attention du Ministre de la Culture. Quelques minutes de perturbation avant que le noir se fasse sur la scène.
« Enfant », conception du chorégraphe Boris Charmatz, démarre par une longue séquence silencieuse, où l’on entend uniquement le bruit d’une grue qui semble détricoter un fil dans lequel serait emmaillotée la cour d’honneur. Par terre, trois corps sont allongés. Très vite, ils sont ramenés vers le centre du plateau par cette grue noire qui les balance de haut en bas, comme des objets inanimés. Ambiance plutôt sinistre que prolonge et amplifie l’entrée sur scène d’autres danseurs, portant dans leurs bras des corps d’enfants endormis. Les yeux fermés, les petits sont manipulés, ballottés, trimballés dans tous les sens par les adultes. Drôle de danse macabre où on se demande qui est vraiment vivant. Les petits pantins sont entièrement soumis aux gestes des grands qui les portent, les balancent, les roulent et les soulèvent. Ils sont, au fond, dansés par les adultes, l’impression est étonnante, on a le sentiment d’avoir face à soi des corps hybrides, un peu monstrueux.
Et puis Charmatz, chorégraphe catalogué comme conceptuel, laisse la danse venir à nous. Les enfants se réveillent. C’est le moment le plus jubilatoire du spectacle. 26 gamins qui courent partout, qui se déhanchent, se projettent dans les airs. 26 gamins qui s’éparpillent sur ce vaste plateau de la cour d’honneur, comme une volée de mouettes, guidés par un joueur de cornemuse. Quelque chose de délié, d’aérien, de marin envahit la cour. Quelque chose de joyeux qui contraste singulièrement avec la noirceur du début. A la fin de la représentation, ce sont les gamins qui portent les adultes. Les rôles sont inversés. Cette pièce de Boris Charmatz ouvre à la réflexion bien des portes qu’on n’en finira pas d’explorer. Persiste néanmoins un sentiment de malaise : pourquoi sur ces 26 enfants, ne compte-t-on ni black ni beur ? on me dira que ce n’est pas le propos, il n’empêche, je me suis posée la question.
Dernière précision enfin, un grand rassemblement des professionnels et du public le 14 juillet à 16 h place Pie est prévu.
ENFANT, cour d’honneur du palais des papes, spectacle de Boris Charmatz Les 8, 10, 11 et 12 juillet à 22h.